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Recommandations pour un code pénal libérateur

Recommandations pour un code pénal libérateur

Abdessamad-Dialmy-ni9ach21

Un code pénal non libéré de l’idéologie patriarcale sexiste consacrée par une lecture phallocratique et doctrinaire des textes religieux ne saurait être un code libérateur. D’où la nécessité de réformer ce code afin qu’il soit adapté à l’évolution de la société marocaine du XXIème siècle.

                                                                                     

I- Le champ des libertés sexuelles individuelles

Sur la base:

– des accumulations de la pensée humaniste moderne qui revendique le droit au plaisir sexuel pour chaque individu, à condition que l’individu soit majeur, consentant, doté d’un savoir scientifique minimal sur la sexualité, conscient des significations de la sexualité et maîtrisant les techniques de protection contre les risques de la grossesse involontaire et des maladies sexuellement transmissibles,

– du principe de la liberté de disposer de son corps en tant que liberté individuelle consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l’Homme,

– du principe qu’il n’y a pas de véritable citoyenneté sans droit au plaisir sexuel pour toutes les citoyennes et tous les citoyens,

– de la nécessité d’harmoniser la Constitution et les législations nationales avec les conventions et les traités internationaux,

– de la nécessité de faire en sorte que le Code pénal ne soit pas en retard par rapport à la transition sexuelle vécue par la société marocaine, caractérisée par une triple explosion sexuelle, préconjugale, prostitutionnelle et homosexuelle, une explosion qui ne peut pas être niée, une réalité qui ne peut être levée,

Par conséquent, je recommande ce qui suit:

Abroger l’article 489 qui punit les relations homosexuelles sur la base d’une interprétation controversée de quelques versets coraniques et d’un hadith douteux non cité dans les deux Sihah. Il est temps d’arrêter de considérer les opinions dhahirite (sunnite) et refusionniste (shiite) comme des opinions hérétiques égarées. Il est temps de donner une suite légale à ces opinions qui ne pénalisent pas l’homosexualité en appelant à la mise à mort de l’homosexuel ou à son fouettage, sinon à son blâme et à son exil au minimum. Pourquoi ne pas faire de ces opinions une source de lois islamiques modernes qui acceptent l’homosexualité (de l’intérieur de l’Islam) et qui, en même temps, rejoignent les recommandations des organisations internationales en la matière?

Abroger l’article 490 qui punit toute relation sexuelle entre un homme célibataire et une femme célibataire (délit de débauche), sans distinguer entre la relation fondée sur le désir et l’amour mutuels et la relation prostitutionnelle. C’est l’article qui sécularise «le crime de la fornication des célibataires» par peur du risque de la confusion entre les liens et les biens et pour préserver l’honneur patriarcal. Ce risque n’est plus de mise aujourd’hui eu égard à la disponibilité de techniques contraceptives modernes efficaces. De plus, lier l’honneur des hommes à la virginité des filles est un indicateur de la prédominance d’un système patriarcal qui institutionnalise la violence à l’égard des femmes, un système qui doit être aboli. Lorsque l’article 490 est supprimé, la prohibition islamique de la sexualité préconjugale devient une conviction purement individuelle qui n’engage que le croyant qui peut la respecter librement sans l’imposer à ses concitoyens en tant que loi. Rappelons ici que le mariage précoce et l’abstinence prémaritale recommandées par les foqaha pour éviter la fornication des célibataires ne sont pas des solutions réalistes et appropriées aujourd’hui. Plus important, la dépénalisation des relations sexuelles préconjugales est un moyen essentiel de prévenir les grossesses non désirées, les avortements clandestins et les différentes formes de violences sexuelles. La suppression de l’article 490 doit s’accompagner de l’institutionnalisation de l’éducation sexuelle dans l’enseignement public à tous ses niveaux.

Abroger l’article 491 relatif au délit d’adultère (qui sécularise le crime de la fornication du marié/e) et transformer l’adultère en affaire civile hors champ d’intervention de l’Etat (par l’intermédiaire du Ministère public).

Abroger les articles pénalisant l’avortement: du fait de son analphabétisme en matière de droit musulman, le Marocain lambda ne sait pas que les Shâfi‘ites et les Hanbalites autorisent l’avortement avant que la grossesse n’atteigne les quarante jours (avant que l’embryon ne prenne forme). Il ne sait pas non plus que les Hanafites et les Dhahirites l’autorisent dans les quatre premiers mois de la grossesse, c’est-à-dire avant « l’insufflation de l’âme ». Par conséquent, le consensus fiqhique sur l’interdiction de l’avortement porte sur les grossesses de plus de 5 mois (sauf si la vie de la femme enceinte est en danger). Le Marocain est en droit, en tant que citoyen, de connaître toutes les opinions fiqhiques sunnites (et chiites aussi), mais il n’est pas traité comme un citoyen, mais plutôt comme un être qui devrait être transformé en un musulman malikite, voire en fanatique du malikisme.

D’où la nécessité de travailler sur:

– La libération de l’opinion publique et du code pénal du rite malikite concernant l’interruption volontaire de grossesse,

– Le remplacement des notions d’avortement et d’interruption volontaire de la grossesse par la notion d’«interruption nécessaire de la grossesse» pour des raisons médicales, thérapeutiques ou sociales impérieuses.

Réformer l’article 160 relatif à la reconnaissance de la paternité dans le Code de la famille: la reconnaissance du géniteur est un acquis important car c’est un document juridique qui prouve que la paternité est reconnue hors mariage «par un acte officiel ou par une déclaration manuscrite non équivoque du géniteur». Cependant, cet article est insuffisant car il s’agit d’une reconnaissance libre et volontaire du père, une reconnaissance non imposée par la loi. La transformation du géniteur biologique en père légal reste un acte volontaire. Il n’existe aucune autorité légale coercitive pour contraindre le géniteur à reconnaître sa paternité et à en supporter toutes les conséquences juridiques. Par conséquent, il faut œuvrer pour permettre à la mère célibataire d’obtenir un test ADN et faire de l’établissement de la filiation paternelle une ordonnance judiciaire obligatoire lorsque la paternité du partenaire sexuel est prouvée. C’est une réforme qui prendra en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, car ne pas affilier l’enfant à son géniteur biologique est une violence contre l’enfant et une violation de ses droits fondamentaux au patronyme, à la pension alimentaire et à l’héritage.

Réformer les articles 484, 485, 486 et 488: le «Code pénal» emploie «pudiquement» la notion d’attentat à la pudeur pour incriminer la pénétration anale «exercée indistinctement contre une personne de sexe masculin ou féminin» (articles 484 et 485). Quant au viol, le code pénal le définit comme «l’acte sexuel exercé exclusivement sur une femme contre son gré» (article 486). La défloration de la jeune fille violée est une circonstance aggravante (article 488). N’ayant ni hymen ni vagin, garçons et hommes ne sont pas considérés par le législateur comme susceptibles d’être violés. Ces distinctions entre attentat à la pudeur et viol, entre viol sans défloration et viol avec défloration, entre vagin et anus, montrent toutes que le code pénal marocain défend explicitement des valeurs et des discriminations patriarcales fondées sur le genre. D’où la nécessité de:

– veiller à définir l’attentat à la pudeur comme une agression sexuelle sans pénétration contre une personne quel que soit le sexe de cette personne;

– veiller à définir le viol comme une agression sexuelle avec pénétration vaginale, anale ou buccale contre une personne quel que soit le sexe de cette personne;

– veiller à différencier les peines selon le critère de l’âge de la victime: doubler la peine contre l’agresseur sexuel si la victime est mineure, quel que soit le sexe de la victime.

II -Le champ des libertés religieuses individuelles

Sur la base de:

– la lecture du texte religieux, qu’il s’agisse du Coran ou de la Sunna, n’est pas l’apanage des seuls foqaha. C’est plutôt un texte qui peut et doit être lu et interprété par d’autres savants tels que les médecins, les sociologues, les économistes, les historiens et les linguistes. Nous avons besoin d’une lecture stratégique de ce texte à partir de différentes perspectives afin de pouvoir le comprendre et l’appliquer de manière appropriée au Maroc d’aujourd’hui.

– la liberté de croyance est expressément stipulée dans le texte coranique («Pas de contrainte en religion»), et nous devons donc la respecter et la protéger dans la loi et par la loi.

– la question des doctrines reste avant tout une question politique. Quant à refuser complètement la religion, c’est là une revendication plus profonde et plus méritoire qui constitue la véritable bataille. Si nous gagnons la liberté de croyance et de conscience, nous gagnerons la liberté doctrinale. Il est toutefois possible de commencer par la bataille de la liberté doctrinale étant donné qu’elle est une petite bataille même si elle est une bataille fondamentalement politique.

– la conciliation entre les doctrines a été qualifiée de subterfuge/bricolage par les foqaha, mais aujourd’hui nous devons l’appeler «libération doctrinale» et en faire une nouvelle base pour un nouvel ijtihad pour une nouvelle société islamique.

– un pouvoir politique démocratique n’impose pas l’islam à ses citoyens, même si l’islam est la religion d’Etat.

– la liberté religieuse est le seul moyen de garantir une foi sincère et véritable chez l’individu, et c’est cette liberté qui fait que l’Etat traite l’individu comme un adulte responsable de ses choix de vie, en particulier ses choix religieux (ou non religieux).

Par conséquent, je recommande ce qui suit:

la reconnaissance de la liberté de croyance et de conscience dans la Constitution au lieu d’une simple reconnaissance de la liberté de culte. Je recommande de ne pas criminaliser la conversion religieuse ou doctrinale, voire de ne pas criminaliser l’athéisme. Interroger un citoyen à cause de ses convictions religieuses n’est pas acceptable, c’est une atteinte à l’une de ses libertés fondamentales. La poursuite pénale d’un converti sur la base de l’article 220 n’est pas fondée parce que le converti n’est pas un prosélyte. Il faut donc mettre fin à la pénalisation du prosélytisme et arrêter de considérer l’athéisme comme une maladie, un immoralisme ou une trahison nationale.

l’abrogation de l’article 222, c’est-à-dire la dépénalisation de la rupture du jeûne en public pendant le mois de ramadan. En d’autres termes, il faut cesser de considérer le jeûne comme un ordre public pendant le mois de ramadan.

la pénalisation de tout enseignement religieux qui contredit les acquis scientifiques tels que la théorie de l’évolutionnisme (biologique) et la théorie du Big Bang (physico-astronomique). Un pouvoir démocratique ne fait pas de l’école publique une usine de production des musulmans à la chaîne, mais un espace neutre pour enseigner les grandes religions de manière objective, scientifique et neutre. L’école publique doit servir à donner naissance à des citoyens, libres par conséquent.

À tout le moins, le respect de la liberté de croyance exige que la matière «éducation islamique» devienne une matière facultative.

III- Le champ de la peine de mort

Sur la base de:

– l’enjeu du passage d’une loi qui fait de la peine de mort une punition et une vengeance à une loi qui plaide pour la réhabilitation et la réinsertion du citoyen selon les principes d’une Shari’a de miséricorde et de tolérance,

Je recommande ce qui suit:

– commencer par un moratoire effectif sur l’application de la peine de mort: moratoire sur le prononcé de la peine de mort, moratoire sur les exécutions,

– transiter vers un moratoire légal: la peine de mort est un choix parmi toutes les peines possibles en cas de crimes graves internationalement reconnus,

– Démultiplier les possibilités de la grâce royale,

– Aboutir in fine à l’abolition de la peine de mort:

– abolition de la peine de mort dans les affaires politiques et les questions d’opinion et de croyance,

– abolition de la peine de mort dans les cas de meurtre prémédité (l’État ne tue pas ses citoyens).

IV- Sources de mes recommandations 

– Abdessamad Dialmy: «Apostasie et liberté religieuse au Maroc», Le Journal Hebdomadaire, n° 217, 16-22 juillet 2005, pp. 26-28.

– Abdessamad Dialmy: «Pour une école marocaine respectueuse de la liberté de conscience», in Forum Mondial des Droits de l’Homme, Marrakech, Novembre 2014, publié dans mon blog en 2014 puis dans mon livre «La transition sexuelle» en arabe en 2015 puis en français dans mon livre «La fabrique de l’islamisme» en 2016.

– Abdessamad Dialmy: La fabrique de l’islamisme marocain, Casablanca, Editions Toubkal, 2016.

– Abdessamad Dialmy: Transition sexuelle : entre genre et islamisme, Paris, L’Harmattan, 2017.

– Abdessamad Dialmy: “Transitional LGBT in Morocco: LGBT between Islam and human rights”, in “Dynamics of Inclusion and Exclusion in the MENA: Minorities, Subalternity, and Resistance”, “Hanns Seidel Foundation”, Rabat, 2018.

– Abdessamad Dialmy: «Libérer Hajar Rissouni, les femmes avortées et tous les débauchés», Revue Maroc Hebdo, Septembre 2019.

– Abdessamad Dialmy: «La pédophilie structurelle est la plus grave», Telquel, Septembre 2020.

– عبد الصمد الديالمي: « سوسيولوجيا الجنسانية العربية »، بيروت، دار الطليعة، 2008.

– عبد الصمد الديالمي:  » الانتقال الجنسي في المغرب: الحق في الجنس، في النسب وفي الإجهاض »، الرباط، دار الأمان، 2015.

– عبد الصمد الديالمي: « سوسيولوجيا الإلحاد في العالم العربي »، منشور في « مؤمنون بلا حدود »، 2016.

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