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Interview. Omar Kettani: «Le gouvernement n’est pas outillé pour mener une vraie politique d’investissement social»

Interview. Omar Kettani: «Le gouvernement n’est pas outillé pour mener une vraie politique d’investissement social»

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A quoi est due l’augmentation des prix des produits alimentaires de base ainsi que de certains produits énergétiques au Maroc? Omar Kettani, économiste et professeur à l’Université Mohammed V-Agdal de Rabat, nous éclaire sur la question.

Ni9ach21: D’où vient la hausse des prix?

Omar Kettani: Il y a plusieurs causes. L’une d’elle, qui date d’avant la Covid-19, est liée à la diminution de la couverture des prix de base par la Caisse de compensation. En effet, ces dernières années, le Fonds monétaire international (FMI) a fait pression sur le Maroc pour supprimer cette caisse. Le royaume a procédé de manière progressive. Mais, suite à la croissance démographique, et l’augmentation de la demande concernant certains produits de base, les autorités ont continué de réduire au plus bas la part de compensation de cette Caisse.

La hausse des prix peut être également attribuée à la pression fiscale (le coût de fonctionnement de l’État à la charge de ses citoyens, particuliers et entreprises), qui s’élève à 22% en moyenne au Maroc. Un pourcentage élevé au regard d’une population dont la majorité sont des salariés qui touchent le SMIG, ou un peu plus.

Il y a aussi l’inflation importée de l’extérieur. Le Maroc est dépendant de l’importation du pétrole, ce qui se répercute sur tous les produits de consommation et même d’équipement. Pourquoi? Parce que tous ces produits sont transportés. Et cela influe sur le coût du transport, qui se répercute systématiquement sur le consommateur.

A cela s’ajoute une relance économique post-Covid à l’échelle mondiale qui fait que les gens consomment plus et que les industries consomment plus de pétrole. Ensuite, il y a la Covid-19 elle-même, la baisse d’activité, le chômage et toutes les conséquences sociales.

Puis, il y a l’absence d’une réelle couverture sociale au Maroc. La privatisation des services sociaux au Maroc, à travers les cliniques pour la santé et les écoles privées pour l’enseignement, ont fait que le coût de la vie est très cher au Maroc. Il y a aussi la spéculation sur le logement. Trois sociétés se partagent pratiquement le monopole de ce secteur au Maroc, ce qui fait que le prix du logement économique est de 250.000 dirhams, alors que son cout réel ne dépasse pas 7 ou 8 millions de centimes. Ce qui est injuste et inéquitable.

Enfin, le coût de l’argent au Maroc est une cause de la hausse des prix. Les banques n’ont pas véritablement baissé les taux de crédit, et ce malgré les efforts de Bank Al-Maghrib. Ainsi ces taux vont de 4,5% à 6%, alors que dans les pays occidentaux, ils sont entre 1 et 2%.

Quels sont les produits concernés?

Il y a d’abord les produits de base: l’huile, le blé, la semoule, le beurre, etc. Ensuite, les produits énergétiques comme le pétrole et le gaz. Puis, les services sociaux, notamment la santé et l’éducation, qui sont privatisés afin d’avoir une couverture sociale décente ou un enseignement décent. De ce fait, tous les besoins de base ont été impactés par l’inflation. En plus de la perte de près de 500.000 postes d’emploi en raison de la Covid-19. La perte d’emploi, c’est aussi la perte des revenus, mais ces gens continuent de consommer. Ils se retrouvent donc à la merci du coût de la vie.

D’un autre côté, il y a un sentiment de rupture entre le « Maroc utile » et le « Maroc non utile ». La campagne abrite plus de 40% de la population. Cette population est démunie et plus ou moins négligée. Si la pluie tombe, ils vivent décemment, mais quand il y a la sécheresse, c’est la misère pour eux. Ces gens-là sont les oubliés du Maroc, car ils ne sont ni dans un circuit d’information systématique, ni dans un circuit économique réellement intégré, ni dans un circuit social qui leur garantisse une couverture sociale, ni dans un circuit de transport. Donc, ils sont complètement à la marge.

D’ailleurs, lorsque l’inflation impacte les villes, elle impacte encore plus les campagnes. Le revenu de la population rurale ne provient que d’une seule activité, à savoir l’agriculture et l’élevage. Et quand la pluie ne tombe pas, ces gens-là ne consomment plus rien, ne vont pratiquement pas chez le médecin. Et s’il y a des gens qui souffrent à cause du vaccin, c’est parce qu’il y a une précarité de la santé du Marocain en général. Pourquoi cette précarité? Eh bien, le poisson est très cher au Maroc, et la viande l’est relativement. Et donc, ces populations consomment des produits qui ne sont pas très nutritifs.

Quel impact sur les ménages et les entreprises?

Il y a un cycle. D’abord, les entreprises sont touchées. Ensuite, c’est les ménages. Donc, l’impact économique de l’entreprise devient un impact social. Et maintenant, lorsque les gouvernements parlent d’investissements publics, ils ne parlent que de l’économique et pas systématiquement du social. Malgré toutes les crises, les orientations demeurent à dominance économique, et les gouvernements ne réalisent pas que l’essentiel de l’investissement va être fait dans les villes au détriment de la campagne. Ils traitent les conséquences et non les causes.

Que prévoit le gouvernement pour remédier à ce phénomène? Est-ce assez?

Le gouvernement est le produit d’une orientation capitalistique, libérale, voire même, à la limité, rentière. Le gouvernement n’a pas une culture sociale pour pouvoir mener une vraie politique d’investissement social. Le proverbe dit que «personne ne peut donner ce qu’il n’a pas». Et donc, je ne vois pas dans les profils du nouveau gouvernement des gens qui s’intéressent à l’économie sociale, qui ont une véritable culture d’investissement social. Pourtant le domaine social est aujourd’hui le plus sensible, le plus mal en point.

Les problèmes du social au Maroc proviennent de la campagne. C’est la campagne qui produit de la pauvreté, du chômage, qu’elle exporte ensuite sur les villes. Et quand on investit dans les villes, on ne fait qu’investir sur les conséquences, mais pas sur les causes. Pourquoi la campagne ne produit-elle pas autre chose? Tout simplement parce qu’il n’y a pas d’universités, il n’y a pas d’école de formation professionnelle. Tout cela est quasi-absent dans la campagne. Comment voulez-vous que ces gens puissent développer le milieu rural alors qu’ils n’ont pas eu une formation dans le sens productif?

A titre d’illustration, au Danemark, un étudiant reçoit systématiquement un salaire de 750 euros par mois pour continuer ses études. A la question de savoir pourquoi donner tant d’argent aux étudiants, le gouvernement répond que cet argent va être récupéré par les impôts, une fois que ces étudiants travailleront et seront productifs. Et quand ces diplômés n’arrivent pas à travailler, le gouvernement leur paie de nouvelles formations pour qu’ils s’adaptent au marché de l’emploi. Quand on néglige 40% de la population, qui reste hors zone et inéduquée, automatiquement, comment voulez-vous que l’Etat récupère les impôts sur sa productivité alors qu’elle est très faible?

En réalité, l’inflation nourrit les caisses de l’Etat à court terme, elle ne nourrit pas le peuple. C’est une rupture entre une petite classe riche au Maroc, estimée à 1 million de personnes, et le reste des Marocains qui périclitent.

En tant qu’expert en économie, quelles solutions proposez-vous?

D’abord, je propose qu’on aie un peu d’amour pour ce pays. Qu’on aie un peu de sens civique, de vision de la civilisation du Maroc vécue à travers 12 siècles. Qu’on puisse dire que le Maroc, à une certaine époque, était une puissance régionale très importante. Cette vision-là, on l’a perdue. J’ai l’impression qu’on est devenus un petit pays qui suit et dépend des autres. De ce fait, il faudra qu’on puisse à nouveau étudier notre histoire pour comprendre, pour savoir qu’on a eu de grands penseurs, de grands économistes, de grands conquérants. Donc, déjà, c’est une manière de reconstruire la personnalité du Maroc, mais quand toutes les matières qui sont liées à la civilisation sont absentes de notre formation, tels que l’histoire ou la sociologie, le résultat, c’est qu’on a un produit de cols blancs, de gens considérés plus au moins comme des technocrates, mais qui n’ont pas de culture sociale.

Ce qu’il faut d’abord, c’est revoir le profil de ceux qui représentent le peuple dans le Parlement et dans le gouvernement pour qu’ils aient suffisamment de culture sociale. Le but est de pouvoir changer les orientations purement capitalistiques qui dominent dans l’économie marocaine.

Aussi, l’Etat a offert de nombreux avantages à une partie du secteur privé. Je pense notamment au système bancaire au Maroc qui est surprotégé. Mais le secteur social est en défaillance. Et là, je pense à l’éducation, à la santé, au transport public, au logement économique. Ces quatre secteurs, si on les avaient développées pour les 16 millions de personnes vivant dans le milieu rural, le Maroc ne serait pas avec un pied qui est très performant, tandis que l’autre est gangrené.

Tout ce qu’on gagne sur l’économie des villes, on le perd sur l’économie de la campagne au Maroc. D’ailleurs, aucun Etat africain n’investit autant que le Maroc, mais le rendement ne dépasse pas 3,5%, alors qu’on devrait être à 6 ou 7%. Les causes sont l’économie de la rente et le cout élevé de l’investissement public.

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