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Expert. Harcèlement sexuel au travail: que dit la loi marocaine?

Expert. Harcèlement sexuel au travail: que dit la loi marocaine?

Le délégué interministériel aux droits de l’Homme, Ahmed Chaouki Benyoub, a transmis la semaine dernière au Ministère public le dossier de quatre fonctionnaires de son département qui se sont plaintes d’avoir été harcelées sexuellement par un ancien responsable de la dégélation. Mais que dit la loi à propos du harcèlement sexuel au travail?

Un ancien responsable de la direction des Affaires administratives et financières de la Délégation interministérielle aux droits de l’Homme (DIDH) a été accusé de harcèlement sexuel par quatre fonctionnaires de cette institution. Après l’ouverture d’une enquête administrative en 2020, le délégué interministériel aux droits de l’Homme, Ahmed Chaouki Benyoub, a transmis, le 8 février 2022, le dossier au Ministère public pour prendre les mesures nécessaires dans le cadre de la loi. Notons que l’ex-responsable a, entretemps, quitté la DIDH.

Cette affaire remet en lumière un phénomène qui mine la société marocaine: le harcèlement sexuel en milieu professionnel. Un phénomène qui amplifie la discrimination de genre et dont l’ampleur reste difficile à cerner, vu l’absence de statistiques et d’études. Mais qu’en dit la loi? Afin d’en savoir plus sur les moyens légaux mis à disposition pour lutter contre le harcèlement sexuel au travail, Ni9ach21 a interrogé l’avocat et universitaire Khalid El Idrissi.

Ni9ach21: Comment définir le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel?

Khalid El Idrissi: Le harcèlement sexuel est une pratique courante sur les lieux de travail et certains employeurs exercent des pressions sur les employées pour obtenir des faveurs sexuelles. Malheureusement, ce délit était impuni auparavant, en l’absence d’un texte légal. Toutefois, la jurisprudence considérait le départ d’une employée harcelée sexuellement comme étant involontaire et, par conséquent, elle l’assimilait aux motifs de licenciement abusif. Ce qui donnait droit aux victimes aux dommages et intérêts. Mais aujourd’hui, le harcèlement sexuel est un délit réglementé et constitue l’une des nouveautés du Code du travail marocain.

Comment la victime peut-elle prouver l’acte de harcèlement sexuel?

Le harcèlement sexuel est un délit. Dans les affaires à caractère pénal, il y a la liberté de la preuve, car c’est un fait matériel qui peut être prouvé par tous les moyens: les témoins, des caméras de surveillance, des SMS, des messages sur les réseaux sociaux… Donc, le champ est ouvert et toute preuve est admise. Mais il s’agit d’une chose difficile, puisque le lieu de travail est un espace fermé. Et la plupart des employés ont peur d’être licenciés, ce qui les empêchent de témoigner pour une victime de harcèlement sexuel.

Quels sont les éléments constitutifs du harcèlement sexuel?

Légal, matériel et moral. Aujourd’hui, le harcèlement sexuel est puni par la loi (élément légal). Puis, il y a l’élément matériel, soit l’acte lui-même, qui peut être prouvé par tous les moyens: électronique, visuel, réel. D’ailleurs, même en l’absence de résultats de l’acte de harcèlement sexuel, la tentative demeure punie par la loi, car le dommage moral est déjà là. Il est à noter que le harceleur peut être l’employeur ou tout employé ayant un pouvoir hiérarchique sur la victime.

A quelles sanctions fait face l’auteur d’un acte de harcèlement sexuel au travail?

Le harcèlement sexuel dans les lieux publics est un délit pénal puni de 1 à 6 mois d’emprisonnement ou une amende de 2.000 à 10.000 dirhams. Dans le milieu professionnel, la peine est portée au double si l’auteur est un collègue de travail et peut être de 3 à 5 ans et d’une amende de 5.000 à 50.000 dirhams si le harcèlement sexuel est commis par une personne ayant une autorité sur la victime.

En effet, le législateur, pour englober tous les cas de harcèlement sexuel, a défini la violence sexuelle et puni en vertu de la loi 103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes tous les actes matériels, moraux ou d’abstention fondés sur la discrimination en raison du sexe entraînant pour la femme un préjudice corporel, psychologique, sexuel ou économique.

Aujourd’hui, les victimes de harcèlement sexuel dans le milieu professionnel peuvent être considérées comme des victimes de traite des êtres humains. D’ailleurs, le harcèlement sexuel au travail commis par l’un des patrons d’un journal quotidien marocain a été qualifié par les juges comme étant une traite des êtres humains, une infraction pénale dont la sanction peut aller jusqu’à 15 ans de prison ferme.

Comment une victime peut dénoncer le harcèlement sexuel en milieu professionnel?

Via une plainte auprès du Ministère public ou les commissariats de police. En cas de flagrant délit dans le milieu professionnel, la police judiciaire prend les mesures nécessaires. Le plus important, c’est que désormais, c’est le Ministère public qui est compétent dans ce genre d’affaires.

Selon vous, pourquoi certaines victimes refusent-elles de parler et de dénoncer les auteurs?

C’est culturel. Premièrement, la femme pour la société marocaine, conservatrice malgré les signaux de modernité, est toujours coupable ou responsable, ce qui l’empêche de dénoncer le harcèlement. Deuxièmement, le harcèlement fait partie de la culture de séduction, et, peut-être, il y a des femmes qui l’acceptent et le considèrent comme étant un comportement normal.

Néanmoins, dans les cas extrêmes, l’intervention judiciaire est nécessaire bien que l’approche sécuritaire demeure insuffisante. D’où la nécessité d’opter pour une approche globale pour lutter contre le phénomène à travers la sensibilisation, l’éducation et l’incitation des générations actuelles, la formation, et la dénonciation de ce genre de comportements négatifs qui nuisent à la femme en particulier et à la société en général.

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