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Audio. Emmanuel Dupuy sur le Sahara: «La surprise peut émaner de la Chine»

Audio. Emmanuel Dupuy sur le Sahara: «La surprise peut émaner de la Chine»

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Une nouvelle façon d’aborder la question du Sahara. C’est ce que propose «Rethinking The Sahara Dispute», ouvrage collectif publié à l’occasion de la Fête du Trône, célébrée le 30 juillet dernier. Réalisé à l’initiative de la Coalition pour l’autonomie du Sahara (AUSACO), «Rethinking The Sahara» offre, à travers des essais d’experts, un regard dépassionné, réaliste, critique et pertinent sur le différend régional autour du Sahara marocain, comme en témoigne la multitude d’experts de divers domaines ayant contribué à sa réalisation.

Parmi ses experts figure Emmanuel Dupuy. Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), ce géopolitologue exerce de nombreuses responsabilités dans le domaine de l’analyse stratégique et des questions défense. A quoi s’ajoutent des collaborations à plusieurs journaux et revues portant sur la géopolitique et les questions internationales, sans oublier des recherches sur ces sujets. Pour Ni9ach21, il revient sur l’objet et la nécessité de la réalisation de «Rethinking the Sahara Dispute», sur la question du Sahara, avec en toile de fond les relations Maroc-Algérie, ainsi que sur le dernier discours du Trône.

Ni9ach21: «Rethinking the Sahara Dispute», pourquoi un tel ouvrage et pourquoi maintenant ?

Emmanuel Dupuy: Cet ouvrage est le fruit du travail de près de 3.000 juristes, chercheurs en relations internationales, géopoliticiens, anciens diplomates, etc. réunis sous l’acronyme d’AUSACO (Coalition pour l’autonomie du Sahara). Il s’inscrit dans le cadre du projet qui remonte à juillet 2019, proposant une approche différente de la question du Sahara. Symboliquement, nous avons voulu en faire la présentation à l’occasion de la Fête du Trône, dans la foulée des évènements de Guerguerate en novembre, de la tension autour de la question du Sahara, qui a culminé avec le «Brahim Gate» en avril et mai dernier, puis les différentes tensions existant avec l’Allemagne depuis mars, et l’Espagne, afin de donner corps à une réflexion qui ira crescendo. On l’a vu avec la main tendue à l’Algérie et le discours prononcé par le roi Mohammed VI à l’occasion de la Fête du Trône. C’est un ouvrage qui vise à s’inscrire dans le long terme avec la nécessité d’étayer, d’appuyer et donc de se focaliser sur des approches un peu novatrices par rapport à cette question qui obère les relations internationales depuis maintenant près de 40 ans.

Dans le même contexte, pensez-vous que la position américaine reconnaissant la marocanité du Sahara va faire bouger les lignes? Et dans quelles mesure cette position peut-elle expliquer les tensions entre le Maroc et certains pays européens?

Cette position de l’administration Trump n’est, pour l’instant, pas invalidée par celle de Biden. On est dans une logique d’entre-deux, un statu quo. La rencontre entre Nasser Bourita et Antony Blinken semble confirmer que les choses vont dans le bon sens, de même que la déclaration de Ned Price, le porte-parole du Secrétariat d’Etat, suite à une question qui lui avait été posée, semble induire la nécessité d’inscrire cette décision dans un contexte plus large. La participation des forces américaines à l’exercice African Lion 2021 prouve, à juste titre, que le Maroc est un rouage important pour la stabilité ouest-africaine et, singulièrement, de l’espace atlantique qu’on partage avec un certain nombre de membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, dont les Etats-Unis. Je pense, donc, que la décision américaine va faire bouger les lignes.

Néanmoins, vous avez raison de dire que pour l’instant, aucun pays de l’Union européenne n’est allé dans cette configuration ou reconfiguration. Je pense notamment à la position de la France, qui co-préside le Conseil de sécurité de l’ONU avec l’Allemagne, et qui est dans une forme de statu quo, lequel n’est, de toute façon, pas un soutien au Polisario. C’est vrai que la position «attentiste» de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et, plus particulièrement, de pays qui ont un grief avec le Maroc, comme l’Espagne, est en deçà de ce qu’espérait la diplomatie marocaine.

Par contre, les lignes ont beaucoup bougé vis-à-vis d’autres pays, qui ont vu dans la décision américaine l’occasion idéale d’amplifier leurs relations diplomatiques avec le Maroc. Je pense notamment aux 24 consulats ouverts à Dakhla et à Laâyoune. Les lignes ont ainsi beaucoup bougé du côté des pays émergents, du continent africain, de l’Amérique latine et de la péninsule arabique.

La prochaine étape se jouera sans doute à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre prochain. Et tant que les Américains n’ont pas pris une décision ferme, les 4 autres membres du Conseil de sécurité ne bougeront pas. Paradoxalement, et c’est mon point de vue, Il se peut que l’on attende des changements d’un pays auquel on n’aurait pas pensé spontanément, la Chine, qui a l’occasion du centenaire du Parti communiste, par le biais de son ambassadeur à Rabat, a été très explicite sur la nécessité de reconnaitre la souveraineté territoriale de chaque pays.

Pour revenir à l’Algérie, comment interprétez-vous la politique de main tendue affichée par le roi Mohammed VI et comment expliquez-vous cette «résistance» de l’Algérie à cette politique?

Ce n’est pas la première fois que le roi Mohammed VI tend la main aux Algériens. Lors d’une précédente adresse, il avait tendu la main au président Tebboune, lequel souffrait d’épuisement politique, lui-même ayant eu la Covid-19. De ce point de vue, c’est bien une confirmation de la part du Maroc dans sa volonté d’apaiser les choses et d’offrir une plateforme nouvelle ou renouvelée de dialogue avec l’Algérie.

Néanmoins, l’Algérie est dans un situation politique instable, avec un président qui a du mal à asseoir son pouvoir, des forces armées et des services de renseignement qui sont à couteaux tirés littéralement et une tension très palpable quant à la situation économique. Le pays a particulièrement souffert de la crise, pas seulement sanitaire, mais aussi des conséquences socio-économiques, notamment dues à la chute vertigineuse des prix des hydrocarbures.

La conséquence de tout cela est le désaveu exprimé par la population du régime algérien. On peut prendre pour preuve le très faible taux de participation au référendum de novembre dernier et la participation encore plus faible des électeurs algériens à l’occasion des dernières législatives. Il existe une fissure entre le président Tebboune et les citoyens algériens.

La main tendue du roi du Maroc tombe au moment où il y a une crise politique également en Tunisie. D’ailleurs, le roi du Maroc a, là aussi, fait des gestes significatifs de soutien au président Kaïs Saied, lui-même pris dans une sorte d’imbroglio politico-juridique eu égard à la mise au pas du Parlement et le limogeage du chef du gouvernement. Le Maroc, lui, jouit d’une stabilité unanimement reconnue.

S’agissant de la question du Sahara, est-ce que la solution doit absolument passer par l’Algérie? N’y a-t-il pas d’autres voies à prospecter par le Maroc pour contourner ce blocage?

Cette question ramène à la nécessité de penser la question du Sahara dans le cadre de l’Union africaine, en tenant compte du fait qu’elle implique bien plus que le simple Maroc-Algérie. Elle engage les pays de l’Afrique de l’ouest. D’où la nécessité d’avoir un regard à travers l’organisation sous-régionale qu’est la CEDEAO, même si ni le Maroc ni l’Algérie n’en font partie et que la Mauritanie en est sortie en 2000. Et il faut aussi tenir compte du fait que la question du Sahara implique une forme moderne d’administration des territoires, qui peut être modélisée ailleurs qu’au Maroc, ailleurs qu’au Sahara. Alors que l’on pense de plus en plus à des processus de régionalisation, la commission sur le nouveau modèle de développement montre bien que l’administration territoriale doit évoluer. Ce qui est vrai au Maroc et également en Europe, où l’on pense de plus en plus à une forme de dévolution du pouvoir.

Pour résumer, la question du Sahara peut être un modèle sur lequel pourraient s’appuyer d’autres territoires qui visent à réviser ou à revisiter leurs relations entre le centre et la périphérie. Après tout, l’instabilité au Sahel est aussi une carence de l’Etat, une insuffisante présence de l’Etat dans un certain nombre de territoires délaissés, par exemple entre le nord du Mali et Bamako ou entre le nord-est et le nord-ouest du Nigeria et le gouvernement central à Abuja. Donc, toutes ces réflexions engagent bien plus que le simple regard entre le Maroc et l’Algérie.

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