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Intelaka, un business juteux pour les arnaqueurs

Intelaka, un business juteux pour les arnaqueurs

Sur le papier, Intelaka est un beau projet. Du rêve en boîte pour les TPME qui risquaient la faillite en pleine crise Covid-19, lancé en février 2020, suites aux instructions royales, afin de soutenir les entreprises en perte de croissance, dans un objectif assumé de permettre la création de 27.000 emplois. Mais, dans la pratique, les Marocains ont tout de même réussi à dévier de la route initiale et trouver une faille au système, s’enrichissant considérablement au passage.

Commençons par le commencement. Pour faire une demande de crédit Intelaka, le porteur d’idée ou de projet doit présenter un business model à la banque. Après étude du dossier par plusieurs commissions, le demandeur est rappelé par la banque afin de passer à l’étape d’exécution.

Pour certains projets, la banque demande de fournir un contrat de bail. Document qui représente une sorte de garantie, comme un fonds de commerce, un local à aménager. Mais certains entrepreneurs se prennent au jeu du « Loup de Wall Street » et décident de défier les lois de la gravité financière.

A commencer par cette étape de l’aménagement, la plus simple à détourner dans le système Intelaka. Les entrepreneurs peuvent, en effet, aisément surestimer le coût des travaux, avec la complicité d’un fournisseur, qui donnera à son tour, une fausse facture à la banque. Lorsque le chèque certifié est prêt, ce sera au fournisseur de le déposer sur son compte, afin de débloquer les fonds, tout en enregistrant, au passage, un bénéfice intéressant.

« Mon associé s’est mis d’accord avec un fournisseur de son choix, sans que je le sache. Il paraissait être quelqu’un de confiance, ce n’est qu’après que j’ai compris l’arnaque », déclare Soundouss à Ni9ach21. Travaillant dans la communication, cette jeune Marocaine avait pour projet d’ouvrir son propre salon de coiffure. N’ayant pas une grande connaissance du marché des affaires, elle a accepté, après moult insistances, de s’associer à un de ses amis proches, directeur d’une agence de communication, afin de gérer la partie administrative.

Mais ce dernier, qui était déjà associé à plusieurs personnes ayant demandé le crédit Intelaka, n’avait aucunement pour objectif d’ouvrir un centre de soins, mais plutôt de détourner l’argent à ses fins personnelles. Et afin d’échapper à la vigilance de la banque, et, sait-on jamais, en cas de visite inopportune de la part d’une commission, il a tout simplement réalisé de menus travaux, de très faible qualité et loin de l’image luxueuse que se faisait la jeune entrepreneure d’un salon de coiffure. Gains empochés : 180.000 dirhams, et ce, seulement pour la première phase du projet.

Omar Toukhssati, expert-comptable et commissaire aux comptes, nous éclaire sur ce produit certes jeune, mais bien juteux.

Ni9ach21 : Comment les banques sélectionnent-elles les personnes qui méritent un crédit Intelaka?

Omar Toukhssati : Pour le moment, les banques se basent essentiellement sur le dossier. Le plus important pour l’entreprise, c’est de disposer de l’ensemble des documents demandés par la banque. A partir du moment où cette partie est respectée, le crédit devrait être obtenu.

Qu’en est-il du passif bancaire ?

Il s’agit d’entreprises récentes, il n’y a donc généralement pas de problèmes. Par ailleurs, on ne dirait pas que la banque mène une enquête sur le demandeur de crédit. Je n’ai pas l’impression qu’ils font ce travail d’analyse du profil du futur gérant : a-t-il un passif ? Est-il déjà impliqué dans d’autres entreprises qui ont déclaré faillite ?

Un suivi est-il fait par la suite ?

Non, encore une fois, ce n’est qu’une question de procédures à suivre. Pour la banque, le dossier doit être complet. Une fois celui-ci accepté, il faut ramener des pièces justificatives de dépenses, au fur et à mesure. Au niveau des banques, les frais sont débloqués chez les fournisseurs.

Quels sont les profils rejetés, finalement ?

Sincèrement, selon les dossiers que j’ai eu à traiter, pas beaucoup. En général, et bizarrement, il y a un taux d’acceptation assez élevé.

Les arnaques sont donc très faciles ?

Oui, tout à fait, car quelque soit le devis donné par le fournisseur, aucune vérification n’est faite pour savoir si le niveau de la facture est élevé ou pas par rapport à ce qu’on peut trouver sur le marché. A partir du moment où le créditeur obtient une facture, qu’elle soit vraie ou fausse, il n’y a pas de vérification. La seule vérification faite est celle du conflit d’intérêts entre le porteur de projet et le fournisseur, s’il ne s’agit, notamment, pas de la même personne.

Comment ces arnaqueurs procèdent-ils, concrètement ?

En fait, ils font en sorte de majorer des factures auprès des fournisseurs, ou carrément d’obtenir des factures fictives. Mais nous en sommes encore au démarrage du projet, donc la personne ne déclare pas faillite, pour le moment. Il n’y a, en fait, aucun business derrière, la société va donc disparaître dès le début. Il ne va pas y avoir de démarches juridiques pour dire qu’il y a un arrêt. Néanmoins, Intelaka n’en est qu’à son démarrage, donc il n’y pas encore beaucoup d’arnaques. Même si majorer des factures est assez répandu.

Comment se passent les associations entre deux personnes, à savoir une première qui sera la victime et une seconde qui est déjà associée à plusieurs demandeurs de crédits Intelaka ?

Ces gens sont dans plusieurs projets Intelaka, et vont créer une société et mettre une personne quelconque à la tête, tout en fournissant des factures pro formats à la banque, via des fournisseurs de leur connaissance.

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