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Interview. Abdelhadi Bennis: « Ce que risque le Maroc, si le climat n’est pas pris au sérieux »

Interview. Abdelhadi Bennis: « Ce que risque le Maroc, si le climat n’est pas pris au sérieux »

Le Maroc participe à la 26e Conférences des parties (COP26), qui se tient actuellement à Glasgow, en Écosse. Où en est le royaume aujourd’hui en matière de lutte contre le changement climatique?

Méga-feux, inondations, hausse du niveau de la mer, dégel du permafrost, sécheresse… Le changement climatique bouleverse l’équilibre écologique mondial et présente la plus grande menace existentielle pour l’humanité sur le moyen et le long termes. Qu’en est-il du Maroc, en particulier? Ni9ach21 a questionné Abdelhadi Bennis, ancien ingénieur général au ministère de l’Agriculture, membre de l’Association Ribat Al Fath pour le développement durable et président du Club Environnement.

Ni9ach21: Avant toute chose, qu’est-ce que le changement climatique?

Abdelhadi Bennis: Les pays développés et industrialisés utilisent beaucoup d’énergie fossile, qui dégage ce qu’on appelle les gaz à effet de serre qui s’accumulent dans l’atmosphère, constituant une sorte d’enveloppe autour de ce dernier. Conséquence: la terre se réchauffe. Et ce réchauffement perturbe tout l’équilibre écologique, c’est-à-dire la variabilité de la température, les courants d’eau, d’air, etc. Cela se traduit par ce que nous appelons les aléas climatiques. Le climat n’est plus régularisé dans le temps et il y a une variation temporelle et spatiale de la pluviométrie, avec des catastrophes naturelles (inondations, sécheresse, canicule…).

Quels sont les effets et les risques du changement climatique au Maroc?

Pour le Maroc, le risque est la raréfaction de l’eau. Si la pluie ne tombe pas, les agriculteurs ne peuvent cultiver et les barrages ne peuvent se remplir. C’est d’ailleurs le cas aujourd’hui: on est à peine au tiers du taux de remplissage des barrages, tandis que d’autres sont pratiquement vides. Ce qui peut engendrer une baisse du PIB (l’agriculture représente 15% du PIB), l’exode rural (s’il ne pleut plus dans la campagne, les gens vont s’appauvrir), la déperdition scolaire à cause du manque d’eau, l’absence de toilettes dans certaines écoles dans le milieu rural. Il y a donc des effets économiques et sociaux.

Au niveau environnemental, certes, ces derniers temps, nous n’avons pas beaucoup d’inondations, puisque le Maroc a construit des barrages, mais nous souffrons de périodes de sécheresse assez longues parfois. D’ailleurs, nous étions obligés, pendant l’une de ces périodes, de remplir des bateaux d’eau d’El Jadida pour satisfaire le besoin en eau de la ville de Tanger.

Il faut aussi savoir que quand il ne pleut pas, les agriculteurs puisent l’eau dans les nappes phréatiques, qui constituent ce qu’on appelle la trésorerie hydrique du Maroc. Ce qui provoque la surexploitation de cette dernière et son épuisement. Par ailleurs, lorsqu’il y a une pollution de la mer, des rivières, des lacs, c’est la pêche qui est affectée, et il y a une perte de la biodiversité.

Comment évaluez-vous les efforts du Maroc en matière de lutte contre les changement climatiques?

Il existe deux méthodes pour lutter contre les dérèglements de l’environnement: l’atténuation et l’adaptation. L’atténuation consiste à limiter l’émission des gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique. Quant à l’adaptation, elle consiste à reconnaitre l’existence du risque climatique et de prendre les mesures adéquates pour vivre avec. Le Maroc n’est pas un grand pollueur de l’atmosphère, car nous ne disposons pas de nombreuses usines. Mais le changement climatique nous a été imposé par les pays pollueurs.

De ce fait, le Maroc développe actuellement les énergies renouvelables pour ne pas dépendre des pays étrangers, et pour prévenir les problèmes d’approvisionnement dans le futur. Nous importons 80% de notre énergie et nous ne disposons pas de combustibles pour faire tourner les usines, le parc automobile… Dès lors, l’objectif du Maroc est double: assurer sa souveraineté énergétique et contribuer à la réduction du réchauffement climatique dans le cadre de la solidarité avec la communauté internationale.

L’adaptation au changement climatique passe d’abord, par la construction massive des barrages pour stocker l’eau. Mais ces infrastructures ne sont pas assez protégées à l’amont, car il faut procéder à des plantations d’arbres et à l’aménagement de bassins versants pour protéger durablement la ressource en eau. L’adaptation passe aussi par le développement de l’industrie et la fin de la dépendance vis-à-vis de la pluviométrie, et donc, des aléas climatiques.

Puis, il faut développer la pêche maritime pour assurer une certaine sécurité alimentaire aux Marocains, et ne plus dépendre du climat qui influe sur la production agricole. D’ailleurs, le Maroc dispose de 3.500 km de littoral et se classe à la 17e place mondiale en termes de richesse halieutique, laquelle demeure malheureusement mal exploitée.

Enfin, le Maroc doit généraliser l’utilisation des nouvelles techniques agricoles et faire appel à la science pour économiser ses ressources en eau (80% de l’eau de pluie est exploitée dans l’agriculture). De même, il faut éviter de polluer les cours d’eau en jetant tous types de déchets (ménagers, industriels…).

Trouvez-vous que le risque climatique est pris en considération dans l’élaboration des politiques publiques?

Oui, mais pas assez, car on ne fait pas les choses de façon intégrée dans le temps et dans l’espace. Certes, le Maroc est en train de développer les énergies renouvelables, mais face à l’ampleur des dérèglements climatiques, ses efforts restent timides. Dernièrement, Nizar Baraka, le nouveau ministre de l’Eau, a évoqué la question de la raréfaction de l’eau. D’ailleurs, le Maroc dispose de 143 barrages, mais leur taux de remplissage ne dépasse pas le 1/3, d’où la nécessité de les protéger à l’amont pour éviter le gaspillage, surtout dans ce contexte de raréfaction.

Qu’attendez-vous de la participation du Maroc à la COP26?

Personnellement, je souhaite que la participation marocaine soit plus importante. Au niveau international, chaque pays contribue à sa manière à la lutte contre le changement climatique, mais le Maroc doit faire pression sur les pays développés pour réduire leurs émissions. Par exemple, la Chine qui émet plus de 30% de gaz à effet de serre ne s’est même pas présentée à la COP de Glasgow. D’où la nécessité pour le royaume, en tant que faible émetteur de gaz à effet de serre, de participer à des coalitions contre les pays qui ne veulent rien faire en matière de lutte contre les changements climatiques, de faire des plaidoyers, du lobbying.

En fait, sur cette question, même l’ONU est dépassée, car elle n’arrive pas à imposer des règles que tous les pays seront tenus de respecter. Dans ce sens, il faut réfléchir à comment amener l’ONU à imposer des règles contraignantes. Dans ce contexte, il existe une Agence internationale de l’énergie qui a élaboré un très bon programme pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 pour chaque catégorie de pollueur. Le Maroc aurait défendu ce programme lors de la COP26, mais il faut faire plus de pression et faire partie d’une alliance.

Certes, le Maroc défend l’Afrique en matière de changement climatique, mais c’est le continent qui pollue le moins et subit le changement climatique. Aussi, lors des accords de Paris sur le climat (COP21), suite aux négociations, un montant de 100 milliards de dollars devaient être offert aux pays en voie de développement, promesse qui n’a pas été tenue. Le Maroc doit insister sur cela, mais il ne peut le faire qu’en faisant partie d’une alliance.

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