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Khadija Rebbah: «Il y a beaucoup de violences politiques envers les femmes»

Khadija Rebbah: «Il y a beaucoup de violences politiques envers les femmes»

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Sur 6.815 candidats retenus pour les élections législatives du 8 septembre prochain, 2.329 sont des femmes. Un taux qualifié de très faible par certains observateurs.

 

La femme dans la sphère politique

Cette année, près de 18 millions de Marocains sont attendues dans les urnes le 8 septembre prochain. Les femmes représentent 46% du total de ces électeurs. Au niveau des candidatures à la députation, 1.704 listes ont été retenues, contenant 6.815 candidatures, dont 2.329 féminines. Ce qui représente un taux de 34,17% sur l’ensemble des candidatures. Il faut également noter que les femmes sont à la tête de 97 listes de candidatures dans les circonscriptions électorales locales.

Le problème de la représentativité féminine refait donc surface. Certaines femmes du Parti justice et développement (PJD) ont notamment été exclues des listes électorale. Et l’exemple d’Amina Maelainine n’est pas isolé. Néanmoins, des exemples positifs existent, à l’image du Mouvement populaire (MP), qui a proposé une liste 100% féminine pour l’arrondissement communal de Guéliz à Marrakech.

Lors des dernière législatives, en 2016, l’on avait constaté une évolution du taux de représentativité des femmes. En effet, sur 395 représentants, 81 étaient des femmes, soit un taux de près de 21%. Le Parti authenticité et modernité était arrivé en tête avec 26 députées, suivi par le PJD (24).

Les chiffres de 2016 constituent une amélioration de 4 points par rapport aux 17% de femmes au sein de la Chambre des représentants à l’issue des législative de 2011. Ces dernières avaient pourtant eu lieu quelques mois après l’adoption de la nouvelle Constitution, dont l’article 19 stipule que «l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental».

Le poids de l’Histoire

Dans la culture arabe, les femmes et la politique constituaient deux lignes parfaitement parallèles. La femme arabe n’a pratiquement jamais été liée à la scène politique, à quelques exceptions près. La culture et les mœurs arabes ont souvent favorisé l’homme à la femme dans les travaux politiques. Ce n’est qu’en 1957 que des femmes (2) ont intégré, pour la première fois, un Parlement dans le monde arabe, plus précisément en Egypte.

Au Maroc, la femme n’a intégré le Parlement qu’en 1993. Puis, il a fallu attendre quatre autres années pour voir première femme d’Etat du royaume. Aziza Bennani occupait le poste de secrétaire d’État auprès du ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, chargée de la Culture dans le gouvernement Filali III (1997-1998). D’autres femmes occuperont des postes de ministres ou secrétaires d’Etat, comme Nouzha Skalli ou encore Nouzha Chekrouni.

Par ailleurs, en 1993, les femmes représentaient seulement 0,24% des conseillers locaux élus, contre 12,3% en 2009. Ce bond est en partie grâce au système de quotas, qui a été imposé en 2002 dans le but de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes sur la scène politique.

A quand la parité?

Pas pour cette année, en tous cas. Les débats sur la parité se multiplient depuis des années déjà. Rappelons qu’en raison du nouveau quotient électoral, seules les têtes de listes espèrent gagner un siège, sachant que sur les 1.704 listes retenues pour ces législatives, seules 97 sont menées par des femmes.

S’il est vrai que 2.329 femmes ont été accréditées, une grande partie de ces candidatures ont été inscrites au registre des listes régionales. Lesquelles listes sont imposées par la législation afin de permettre à 90 femmes d’accéder à la Chambre des représentants. Est-ce suffisant? Non, un effet discriminatoire désigné a été remarqué.

Vu que la législation réserve 90 sièges d’office aux femmes, ces dernières se retrouvent totalement exclues des autres listes. Le système des quotas, qui devait en effet constituer un mécanisme démocratique pour garantir à la femme une certaine visibilité sur la scène politique, s’est transformé en un outil d’exclusion de celle-ci. Pour l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), ce sont là des violences politiques que subissent les femmes depuis des années.

Dans un communiqué, l’ADFM affirme que «80% des femmes parlementaires arabes font l’objet d’une ou de plusieurs formes de violences, qu’il s’agisse de violence psychologique, verbale ou de menace de violence physique». L’ONG dénonce surtout le rôle des partis politiques et des hommes politiques dans cette «discrimination à l’égard des femmes politiques».

Contactée par Ni9ach21, Khadija Rebbah, membre fondatrice de l’ADFM et coordinatrice nationale du Mouvement pour la démocratie paritaire (MDP), nous en dit plus:

Ni9ach21: Entre 2002, où le système des quotas a vu le jour, et maintenant, qu’est-ce qui a changé pour les femmes politiques au Maroc?

Khadija Rebbah: Le Maroc était le deuxième pays au niveau du monde arabe à s’engager dans la représentation politique des femmes. C’est-à-dire que c’est le royaume qui a initié ce discours dans la région en confirmant depuis 2002 que la participation et la représentation politiques sont une priorité de développement. Ces décisions ont été prises grâce au Mouvement pour la démocratie paritaire et des mouvements féministes de l’époque. En 2002, seulement 47 femmes étaient têtes de listes. Presque 20 ans après, on est passé à 97 femmes têtes de listes locales.

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Khadija Rebbah. Crédit: DR

Alors, est-ce qu’on a vraiment progressé en 20 ans? Au niveau de l’ADFM et du MDP, on dit NON! Les gouvernements marocains, depuis entre 2002, n’ont répondu ni aux attentes des Marocaines ni à celles des mouvements féministes. Aujourd’hui, les femmes devraient avoir, au Parlement, au moins le tiers des sièges de la première Chambre. Le Maroc aurait pu profiter de l’occasion, maintenant que le pays est plus ouvert au continent africain. Le royaume aurait pu être le pionnier du féminisme africain, en donnant l’exemple sur l’immense chantier de l’égalité. Elle passe d’ailleurs par tous les niveaux: l’égalité doit être culturelle, politique, économique, etc… Mais malheureusement, le Maroc n’a pas vraiment fait d’efforts.

Selon vous, pourquoi ce système est-il devenu un outil d’exclusion, de domination et de corruption?

Il est devenu pour nous un système où il existe beaucoup de violences politiques. Un système qui exclut une élite féminine leader. Pourquoi? Pour l’ADFM, on ne voit pas de femmes vraiment leaders au niveau territorial, au Parlement. Ces femmes qui ont démontré à maintes reprises leurs compétences et qui ont un certain savoir-faire ont été exclues. Elles ont eu recours à nous, elles nous ont expliqué les discriminations qu’elles ont subies au sein de leurs partis. D’ailleurs on se demande si les partis politiques réfléchissent à l’autonomisation, à la promotion et au renforcement de la participation politique de la femme 5 ans, 1 an à l’avance ou à la veille même des élections? Les partis politiques n’ont pas fait de ce mécanisme de quotas un levier pour l’autonomisation politique des femmes.

Comment définissez-vous les violences politiques?

Cce sont des violences que les femmes subissent au sein des formations politiques. Lorsqu’on ne reconnait pas les efforts et le militantisme de ces femmes, c’est une sorte de violence politique. Lorsqu’on promet à ces femmes de les présenter en têtes des listes et qu’on leur ferme la porte à un jour du dépôt des candidatures, «les fausses promesses» sont également des violences politiques. Ces femmes se sentent donc «dévalorisées», «discriminées» et «exclues». De 2015 à aujourd’hui, on a reçu beaucoup d’appels de femmes qui subissent ce genre de violence, surtout au niveau communal. Selon certaines femmes, les problèmes commencent même au niveau de la prise de parole. Le président ou le vice-président de la commune rappelle à ces femmes qu’elles ne sont là que grâce au système des quotas.

Applique-t-on vraiment l’article 19 de la Constitution de 2011?

Ah non, pas du tout! En chiffres, seulement 30% des candidatures pour les élections communales sont féminines. Combien de ces 30% seront élues? Avec ces 30%, on n’arrive même pas au tiers, alors pourquoi parler de parité? Au niveau des régionales, on a 40% de candidatures féminines, le tiers est donc réalisable mais, encore une fois, la parité est un objectif très loin. Au niveau du Parlement sachant que 90 femmes passeront par le système de quotas, on a 34,17% de candidates. Si 20 femmes sont élues, on aura réalisé un acquis historique au Maroc.

Quels sont les changements que vous proposez pour améliorer la place de la femme dans la sphère politique?

Une vraie réforme des lois électorales. On doit imposer la parité à travers la loi et ça doit être clair. Des listes hybrides, où les femmes et les hommes travailleront ensemble. Ces listes permettront à toutes les institutions de devenir paritaires. On propose également une refonte totale de la loi organique des partis politiques. C’est d’ailleurs une loi qui donne les critères de l’éligibilité des candidatures, des fonctions et des mandats électifs.

Cette loi n’impose aucun mécanisme. Ni de démocratie, ni de renouvellement. Le principe de la démocratie inclusive en lui-même doit être présent au sein des partis politiques. Il faut sincèrement un débat national, après ces élections, sur les élections justement. Car lors des dernières élections, le combat au pouvoir a primé, au détriment des fondements et des bases de la démocratie. Bien que ce combat soit leur rôle, on a également besoin de partis qui contribuent à la promotion de l’égalité même pendant les campagnes électorales.

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