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Story. Elections: face au spectre de l’abstention

Story. Elections: face au spectre de l’abstention

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Le coup d’envoi de la campagne électorale a été donné le 26 août dernier. Depuis, les partis politiques sont sur le terrain pour convaincre les Marocains. Y parviendront-ils?

Election trois en un

Les Marocains se préparent à élire leur nouveau gouvernement lors des élections législatives prévues le 8 septembre prochain. Mais cette année est particulière, car, pour la première fois, les législatives se dérouleront le même jour que les communales et les régionales. Ainsi, les citoyens sont appelés à choisir non seulement les 395 députés de la Chambre des représentants pour les cinq prochaines années, mais aussi leurs élus locaux pour 6 ans.

Le rassemblement des trois scrutins devrait permettre de mobiliser le maximum d’électeurs, sachant qu’en général, les élections locales enregistrent une plus forte participation. Il devrait également permettre une réduction des dépenses d’organisation et des efforts logistiques. Notons que ces changements sont le fruit d’un mémorandum présenté en juillet 2020 par le Parti authenticité et modernité (PAM), le Parti du progrès et du socialisme (PPS) et le Parti de l’Istiqlal (PI), tous trois de l’opposition.

Cette année, le Parti justice et développement (PJD) est l’ennemi à abattre. Depuis dix ans, la formation islamiste est à la tête du gouvernement, ayant remporté les législatives de 2011 et celles de 2016. Face à El Otmani et compagnie, une trentaine de partis se sont lancés dans la bataille, mais seule une poignée d’entre eux peuvent être considérés comme des challengers sérieux: PAM, PI, Rassemblement national des indépendants (RNI), Union socialiste des forces populaires (USFP)…

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 157.569 candidatures ont été déposées au titre de l’élection des membres des conseils des communes et d’arrondissements, pour une moyenne nationale de près de 5 candidatures par siège. Au niveau des élections régionales, l’on compte 9.892 candidatures, pour une moyenne de 15 candidats par siège. Enfin, le nombre des candidatures à la députation s’élève 6.815, soit plus de 17 candidatures par siège.

Covid oblige

Les dés sont donc lancés et les partis s’activent. Mais cette année, la campagne électorale se déroule dans une ambiance particulière. En raison de la recrudescence de la pandémie de Covid-19, les autorités ont renforcé les mesures restrictives depuis début août: couvre-feu à 21h, limitation des déplacements d’une ville à l’autres, sauf pour les personnes vaccinées et les cas de nécessité, limitation à 25 personnes pour les événements et rassemblements, etc.

De plus, dans le cadre de la campagne électorale, les préfectures ont pris contact avec les candidats au sujet des mesures à observer au cours de cette phase préélectorale. Celles-ci concernent la limitation à 25 personnes présentes lors des meetings, et à 5 véhicules lors des caravanes et tournées dans les circonscriptions.

Et afin de réduire le risque de transmission potentiel du coronavirus, la distribution des tracts et autres publications aux citoyens a été interdite, de même que l’installation des tentes et les rassemblements dans les espaces qui connaissent habituellement une grande affluence. Il a par ailleurs été demandé aux candidats de communiquer, au préalable, aux autorités locales le tracé de leurs caravanes et tournées.

Une réadaptation en ordre dispersé

Conscients de la situation, les partis politiques se sont adaptés. C’est le calme dans les villes, les rassemblements sont quasi inexistants, surtout dans les grandes villes. Néanmoins, l’on retrouve des tracts çà et là, sur les porches des immeubles, sur le pare-brise des véhicules ou jonchant le sol. Également, des militants vêtus de chasubles estampillés des initiales et le logo de leur parti arpentent les rues, en petits groupes, à vélo ou portant au dos des panneaux à l’effigie de leur candidat. La campagne sur le terrain se déroule discrètement mais sûrement.

D’un autre côté, l’on assiste à une ruée vers le numérique. Discours, présentation de programme, présentation de candidat, propagandes… tout y passe. Les réseaux sociaux sont le nouveau champ de bataille des candidats, et les posts, likes, tags et partages leurs armes. A ce propos, il faut noter que de nombreux partis ont emprunté ce virage numérique très tôt, et ce, au moyen d’importants investissements financiers.

Bien avant le lancement de la campagne électorale, des partis politiques marocains, notamment les plus «nantis», avaient en effet déjà investi l’espace numérique. Facebook a, en effet, révélé les sommes dépensées par nos politiques sur sa plateforme en vue des élections des Chambres professionnelles.

Le RNI a été le plus généreux, avec 126.775 dollars, soit 1.128.298 dirhams, injectés dans la campagne pour ces élections qui se sont tenues le 6 août dernier. Le PI a dépensé 14.970 dollars sur sa page Facebook officielle, contre 672 dollars (environ 6.800 dirhams) pour le Mouvement populaire.

Le PAM, lui, a alloué 630 dollars (environ 5.607 dirhams) pour la promotion de la page officielle de son secrétaire général, Abdellatif Ouahbi. Le PJD et le Parti du progrès et du socialisme (PPS) se sont montrés timides, avec des dépenses n’excédant pas les 100 dollars (890 dirhams) pour chacun. A l’arrivée, le RNI a tout simplement raflé la mise aux élections professionnelles. Et cette tendance à miser sur le digital s’est intensifiée en vue de l’«élection trois en un» du 8 septembre prochain.

Un mal nommé abstention

Que ce soit en ligne ou par les voies «traditionnelles», l’objectif reste le même: séduire les électeurs. Et c’est à cette étape que réside l’un des plus grands défis des élections au Maroc: la participation. L’abstention est, en effet, un véritable fléau dans le royaume.

Pour rappel, lors des dernières législatives, en 2016, seuls 6,7 millions d’électeurs se sont rendus aux urnes sur 15 millions d’inscrits, soit un taux de participation de 43%. Ainsi, plus de la moitié des électeurs marocains ont simplement décidé de ne pas prendre part à ce vote. Et aux législatives de 2011, organisées cinq mois après l’adoption d’une nouvelle Constitution octroyant plus de pouvoirs au Parlement, le taux de participation s’était établi à 45%. Ce qui représentait une grosse avancée par rapport aux… 37% de 2007.

Cette année, près de 18 millions de personnes sont attendues dans les bureaux de vote. En effet, selon les statistiques arrêtées au 30 juillet 2021, 17.983.490 personnes étaient inscrites sur les listes électorales, soit une progression de 14,5% par rapport aux listes de 2016. Mais la crainte demeure quant à la participation effective des électeurs, et les échos qui nous parviennent du terrain ne sont pas des plus rassurants. Assistera-t-on à un remake des éditions passées?

De nombreux Marocains ne se disent pas intéressés par ces élections, une bonne partie disant ignorer le contenu des programmes électoraux. Les jeunes sont particulièrement concernés. Selon eux, les partis politiques marocains ne s’intéressent pas assez à leur cause. Ils accusent ceux-ci, notamment, de ne pas assez communiquer sur leurs programmes, leurs idées, etc. afin de faire adhérer les citoyens.

Confiance brisée

«De toutes les façons, rien ne changera», «il sont tous les mêmes», «une fois élus, ils ne s’occupent que de leurs propres affaires», «ce sont toujours les vieux, les anciens», «les pères transmettent leur candidature à leurs enfants», «ça reste entre familles, entre élites»… Ce genre de phrase revient très souvent quand on demande à des jeunes pourquoi ils ne veulent pas voter. Et à chaque élection, c’est pareil.

«Les jeunes ne sont pas désintéressés de la politique, mais plutôt des hommes politiques. Ils n’ont plus confiance en eux»Ahmed Ghayet

«Les jeunes ne sont pas désintéressés de la politique, mais plutôt des hommes politiques. Ils n’ont plus confiance en eux», nous explique le militant associatif Ahmed Ghayet, confirmant que beaucoup de jeunes qu’il a rencontrés disent ne pas vouloir voter. «Même si on leur explique qu’il y a des hommes et des femmes politiques honnêtes de nos jours, ils ont tellement été trompés dans le passé qu’ils n’y croient plus», explique-t-il à Ni9ach21.

De nombreux jeunes reprochent aux politiques de ne pas aller vers eux. Ce que Ghayet confirme: «Pendant toute l’année, aucun élu, responsable de parti ou député ne fait l’effort d’aller dans les quartiers populaires, de parler avec les populations de leurs problèmes, de les encadrer, de construire des infrastructures au profit des jeunes, etc. Mais à l’approche des élections, ils arrivent avec leur t-shirts, leurs casquettes, et leurs promesses», dénonce-t-il.

Mais la responsabilité n’incombe pas qu’aux politiques. Les jeunes aussi ne prennent pas la peine de s’intéresser aux programmes des partis. Ils ne lisent pas les flyers. Ils font un blocage, car la confiance est brisée. Néanmoins, comme le reconnaît Ghayet, «une partie du chemin doit être faite par les jeunes», sinon rien ne changera. En effet, «en ne votant pas, ils laissent la place libre à ces corrompus, affairistes, opportunistes, etc. qu’ils critiquent». Et ceux-là ont toujours leurs publics, et peuvent acheter des voix ou s’appuyer sur leurs réseaux de connaissances…

Espoir permis?

Il faut donc voter. «Et même si on ne veut pas voter pour quelqu’un, on peut au moins aller voter contre quelqu’un, contre ceux qui sont corrompus, contre ceux qui en font une affaire de famille, etc.», exhorte Ghayet. De nombreux appels ont d’ailleurs été lancés pour encourager la participation de tous à ces élections. Par exemple, dans une interview à Ni9ach21, le secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS), Mohamed Nabil Benabdallah a appelé à voter massivement si on veut que les choses changent.

Les jeunes eux-mêmes ne sont pas en reste. Plusieurs associations, comme «Mogajeunes», «MogaMoujaSurf», «Kech’Jeunesse», «Les 109», «Hip-hop Family», «Acti’Fes», «Rihla», «Crescendo» ou encore «Champions de la ville», soutenus par l’association «Marocains pluriels», ont récemment lancé une vaste campagne sur les réseaux sociaux et sur le terrain. Objectif: inciter la jeunesse à voter pour peser sur son avenir.

On peut également citer l’exemple plus particulier des acteurs syndicaux et professionnels du secteur de la santé. Ces derniers ont récemment appelé l’ensemble des médecins du royaume à participer aux élections. Il ont surtout appelé à soutenir «les collègues candidats et candidates, et à voter en leur faveur afin que la voix du médecin marocain soit entendue sous la coupole du Parlement et dans la gestion de la chose publique au niveau régional et local». Un exemple parmi tant d’autres qui confirme l’envie de changement.

Et une lueur d’espoir a émergé. «Il y a une sorte de renouveau. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de jeunes s’intéressent et s’expriment sur ces élections. De plus, j’ai remarqué que pas mal de jeunes sont candidats cette année», observe Ghayet. Mais quant à savoir si ce constat augure des élections différentes des précédentes en termes de participation, notre interlocuteur se veut réaliste: «J’ai peur que le taux d’abstention soit très élevé, mais on sent déjà un début de changement». Et ça, c’est déjà positif.

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