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Analyse: après la rupture, voici les tensions en vue entre le Maroc et l’Algérie

Analyse: après la rupture, voici les tensions en vue entre le Maroc et l’Algérie

Après avoir annoncé la révision de ses relations avec le Maroc, accusant ce dernier d’être impliqué dans les terribles incendies qui ont ravagé le nord de son territoire, l’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec son voisin. En voici les conséquences.

L’Algérie était attendue, et elle n’a pas déçu. Alors qu’on se demandait quelle serait la réaction du Maroc suite à l’annonce faite il y a quelques jours par la présidence algérienne, annonçant qu’elle allait «revoir» ses relations avec le Maroc en raison d’«actes hostiles incessants», le pays voisin vient d’annoncer la rupture de ses relations diplomatiques avec le royaume.

Quand on a assisté à l’évolution récente des rapports entre les deux pays, l’on n’est pas vraiment surpris par cette décision. En effet, de nombreux événements ont précédé l’annonce de ce mardi, dont, entre autres, la multiplication des attaques contre le Maroc depuis l’accession d’Abdelmajid Tebboune à la magistrature suprême de l’Algérie, le rappel de l’ambassadeur de l’Algérie à Rabat suite à l’exercice d’un droit de réponse par l’ambassadeur représentant permanent du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, l’accusation grave impliquant le Maroc dans les incendies qui ont récemment ravagé la Kabylie, et la décision plus récente de renforcer les contrôles sécuritaire aux frontière entre les deux pays.

La décision de ce mardi est le point culminant d’une escalade dans les relations entre Rabat et Alger, qui a débuté avec la crise de Guerguerate à partir d’octobre 2020. Puis est venue la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-unis, «aggravée» par la normalisation avec Israël. Ainsi, en dépit des appels répétés du roi Mohammed VI pour la réconciliation entre les deux pays voisins, l’exécutif algérien, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a tout bonnement décidé de rompre les relations diplomatiques.

Effet domino

Cette rupture n’est pas la première du genre dans l’histoire commune des deux pays, comme nous le rappelle Zakaria Abouddahab, professeur de relations internationales à l’Université Mohammed V de Rabat: «Après la Marche verte en 1975 et la proclamation de la pseudo-République arabe sahraouie démocratique en 1976, les relations entre Rabat et Alger ont été rompues jusqu’en 1988, suite à une rencontre entre le roi Hassan II et le président algérien Chadli Bendjedid». Les relations ont alors repris, avant d’être une fois de plus affectée par la fermeture des frontières terrestres en 1994. La suite, on ne la connaît que trop.

Pour Abouddahab, cette décision «regrettable» aura des répercussions à plusieurs niveaux. Par exemple, élabore-t-il, «le projet du gazoduc maghrébin, qui part de l’Algérie en passant par le Maroc pour atteindre l’Europe, va voler en éclats, alors que le Maroc a récemment montré sa disposition à renouveler le contrat concernant ce projet qui prend fin très bientôt». Toujours selon l’universitaire, la rupture des relations diplomatiques entre Rabat et Alger peut également engendrer des divisions au sein de l’Union africaine, entre les pro-Maroc et les pro-Algérie, de même qu’elle aura une incidence sur le Maghreb, au niveau du Sahel, sur le conflit du Sahara, etc.

Au niveau local également, les populations respectives des deux pays subiront les effets de cette rupture. De plus, la décision pourrait produire un effet boomerang sur le gouvernement algérien, qui reste toujours sous la menace du Hirak, bien que ce dernier ait été supendu en raison de la crise sanitaire. En effet, questionne Abouddahab, quelle est la pertinence, l’opportunité, l’utilité d’une telle décision? Sert-elle les intérêts du peuple algérien ou va-t-elle avoir des effets nefastes sur ce dernier?

Il ne faut pas non plus oublier les conséquences économiques, les deux pays entretenant des échanges importants malgré leurs relations en dents de scie. «Nous sommes revenus à la case départ, et il faudra attendre plusieurs mois, voire des années, pour sortir de cette impasse très regrettable», déplore Abouddahab.

Pour Emmanuel Dupuy, on remarque, à travers la décision algérienne, une volonté du gouvernement Tebboune, de se servir du Maroc, comme le «coupable idéal de choses avec lesquelles il n’a pas grand-chose à voir». Le géopolitologue, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), fait notamment allusion aux incendies qui ont ravagé la Kabylie, géographiquement éloignée du Maroc. «Cette accusation contre le Maroc est dérisoire», tranche-t-il.

Plus de présence militaire

Quant aux implications de la rupture des relations diplomatiques entre Rabat et Alger, notre expert observe qu’«il faut s’attendre à une plus vive tension sur l’agenda le plus problématique entre les deux pays, à savoir le Sahara». Selon lui, cette tension s’exercera, «sans doute avec plus de présence militaire à la frontière maroco-algérienne». Et d’évoquer un autre facteur concomittant: le président de l’Assemblée nationale mauritanienne s’est récemment offusqué auprès du président Mohammed Ould Ghazouani du fait que le Polisario et l’Algérie seraient en train d’inciter des mouvement secessionnistes dans la région du nord de la Mauritanie. La tension pourrait donc s’étendre à la frontière sud.

Sur un autre plan, la rupture diplomatique entre Rabat et Alger soulève des préoccupations quant à la manière dont va réagir la communauté internationale. «La pression algérienne vis-à-vis de l’administration américaine se fera plus forte pour remettre en cause l’accord du 10 décembre (reconnaissance de la marocanité du Sahara, ndlr)», selon Dupuy, qui ajoute que la pression algérienne sera également plus forte auprès du nouveau gouvernement israélien. Même si, dans un cas comme dans l’autre, il faudra à l’Algérie de s’armer… de courage.

La Libye ne sera pas non plus épargnée. La rupture entre Rabat et Alger va avoir un impact sur la manière dont les deux pays entendent jouer le rôle de parrains, de soutiens au processus politique en cours dans le pays depuis la réunion de févier dernier à Génève. Au niveau multirégional, le Maroc souhaitant intégrer l’espace ouest-africain, l’Algérie va sans doute perturber cet agenda, en jouant sur sa proximité avec certains pays.

Et comme Abouddahab, Dupuy prédit également des tensions très vives au niveau des instances internationales, notamment l’Union africaine, où les deux pays siègent, ainsi qu’au niveau de l’ONU «à l’aune de la prochaine Assemblée générale» de l’organisation.

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