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Vidéo. Abdelmalek Alaoui: «La fermeté diplomatique marocaine, un choix et un style»

Vidéo. Abdelmalek Alaoui: «La fermeté diplomatique marocaine, un choix et un style»

Economiste, consultant en stratégie et écrivain, Abdelmalek Alaoui est l’auteur de «Le temps du Maroc», un ouvrage sur les opportunités et enjeux d’un Maroc renouvelé. Rencontre.

C’est dans les locaux de son entreprise de conseil, Guépard Group, au design fin et raffiné, qu’Abdelmalek Alaoui nous reçoit. Avenant, direct, décontracté, il est à l’image de son nouveau livre «Le Temps du Maroc» (Editions La Croisée des Chemins, 360 pages, 110 dirhams). Les idées sont claires, le regard tourné vers l’avenir. «Le Temps du Maroc», c’est, comme indiqué en couverture, une réflexion sur: «Comment le Maroc, cet État d’Afrique du nord de 36 millions d’habitants se rêvant comme la nouvelle passerelle entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, va-t-il traverser ce séisme mondial? Comment va-t-il affronter la crise sanitaire, trouver les ressources nécessaires pour réinventer son modèle de développement tout en déroulant une nouvelle partition diplomatique qui bouleversera les alliances régionales ainsi que l’épineuse question du Sahara?». Eléments de réponse dans cet entretien.

Ni9ach21: «Le temps du Maroc». Pourquoi un tel ouvrage et pourquoi maintenant?

Abdelmalek Alaoui: Il y a toujours une dimension à la fois de hasard et de géographie. Le hasard a voulu que le Maroc et le monde entier entrent dans un moment très particulier. Et la géographie est celle du confinement. Lorsqu’on est habitué à voyager, comme c’est mon cas, et qu’on se retrouve bloqué, on a forcément plus de temps pour travailler les sujets de fond et pour se consacrer à l’écriture, bien que cette dernière soit une passion ancienne. Ce que j’ai voulu raconter, ce sont les 500 jours de la riposte marocaine à la pandémie de Covid-19, avec, comme toile de fond, la question suivante: est-ce que le Maroc va être en capacité d’organiser sa riposte, son sursaut face à la tempête? Je me suis également interrogé sur le leadership, c’est-à-dire la gestion par le chef de l’Etat de cette crise sans précédent, de même que celle de l’exécutif. Je savais surtout ce que je ne voulais pas faire, soit envoyer à un éditeur un journal de confinement, mais plutôt, et surtout, m’ouvrir sur mon environnement. J’estime être extrêmement privilégié de pouvoir vivre au Maroc dans les conditions qui sont les miennes et de faire partie de la communauté la plus favorisée du pays: francophone, instruite, dans l’axe Rabat-Casablanca. Le livre est une contribution à la collectivité pour essayer de dire comment je voyais les choses.

S’il y avait des leçons à tirer de l’expérience marocaine de l’épreuve sanitaire et économique liée à la Covid-19, quelles seraient-elles?

Nous n’avons pas suffisamment de profondeur historique pour savoir si les progrès enregistrés pendant cette phase sont durables. Mais une chose est évidente: on savait le Maroc résilient. Cette donne fait partie de l’ADN du pays, qui a résisté à plusieurs agressions extérieures pendant 13 siècles et qui a la monarchie régnante la plus ancienne au monde, avec une véritable tradition en la matière. Le Maroc, pour ne rappeler que les récents événements, est le seul pays arabe à avoir évité les soubresauts du «printemps arabe» et à avoir connu une transition douce et une redistribution des pouvoirs. Ce qui m’a étonné, c’est la capacité de rebond de la technostructure que l’on disait extrêmement sclérosée, assise sur ses privilèges, sur le népotisme et le clientélisme et qui était au centre du débat public, puisque la croissance que nous avons eu au Maroc au cours de ces 20 dernières années est venue de l’investissement public. Cette même administration publique, sous le leadership du roi, a été également en capacité de se métamorphoser avec des changements profonds de paradigmes. On parlait souvent des agents d’autorité au Maroc, mais pour les fustiger. C’est un signe des temps lorsqu’on a pu voir des gens applaudir ces mêmes agents lorsqu’ils devaient faire respecter des mesures pourtant restrictives. Il y a clairement un changement de niveau.

Dans votre livre, vous accordez beaucoup d’attention à la question du Sahara. Le dossier a connu une évolution majeure avec la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud. Quelle serait la suite logique?

Nous assistons, depuis l’accession au Trône de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à une nouvelle partition diplomatique. Des positions qu’on croyait figées, comme la non-participation à l’Union africaine, ont bougé. Le plan d’autonomie a été le premier verrou psychologique levé dans le cadre de cette nouvelle politique. La décision n’était pas simple à prendre. Elle a été très fortement soutenue par un grand nombre de pays influents au sein du Conseil de sécurité de l’ONU mais qui ont été un peu plus timides par la suite. Le Maroc a été en droit d’estimer qu’il n’a pas été suffisamment soutenu dans ses efforts pour trouver une issue à cette problématique.

La décision américaine n’est pas née de rien. Pour y arriver, et je le révèle dans mon ouvrage, Sa Majesté le Roi a été seul à la manœuvre, avec un cercle très fermé de collaborateurs, pendant environ 3 ans. Le Maroc en a tiré un bénéfice énorme sur le plan diplomatique, mais aussi en terme de reconfiguration des forces en présence dans la région. Le pari du royaume est que cela engendre un effet boule de neige.

Croyez-vous à cet effet espéré, sachant que de nombreuses autres puissances, comme l’Allemagne, l’Espagne, ou encore la France y opposent une grande résistance?

Lorsque le pays le plus influent au Conseil de sécurité reconnait la marocanité du Sahara et que le successeur de Trump ne remet pas en question une décision prise par son prédécesseur, nous sommes devant un pas décisif franchi par le royaume. Rien ne sera plus jamais comme avant sur le dossier du Sahara puisque les Américains ont choisi leur camp.

Les autres pays que vous citez appartiennent, eux, au même bloc: l’Europe. Et pour le Maroc, il serait pertinent qu’il évalue sa relation avec le Vieux continent. Le royaume en a clairement assez d’être le bouc émissaire de l’Europe sur des sujets aussi anxiogènes que la crise migratoire et d’être réduit à un marché pour les produits de l’UE. Ce que nous obtenons est maigre par rapport à ce que nous donnons. Le Maroc est, depuis 2010-2011, dans une logique de multilatéralisme et de diversification des alliances. Tout est de savoir si tous nos nouveaux amis veulent être nos amis aussi. Pour la politique étrangère marocaine, il est cependant important que l’on continue de s’entendre avec tous les pays membres du Conseil de sécurité. Et puis il y a les pays que l’on disait insignifiants, comme en Afrique. Le Maroc a fait, en allant vers ces pays et en opérant de véritables success stories, tout le contraire.

Une chose une sûre: il est des choses que le Maroc n’accepte plus. Il le dit avec clarté et, quand il  le faut, avec fermeté…

… Mais a-t-il les moyens de cette stratégie?

La question des moyens est consubstantielle de la capacité de projection de la nation. Le Rwanda est un très petit pays qui réalise 7 à 8 milliards de dollars de PIB (contre 120 milliards de dollars pour le Maroc). Pourtant, la projection stratégique du Rwanda à l’échelle du continent et de son axe transatlantique est forte. Je constate que le président Paul Kagame a toujours tenu un langage clair et sans complaisance avec ses partenaires. C’est un choix et un style. Le Maroc va continue à cultiver son jardin avec les éléments qui lui sont propres. Par notre ambition, il nous  manque encore quelque attributs économiques et commerciaux, mais nous sommes en bonne voie.

Justement, sur cette question des moyens, qu’est-ce que la crise de la Covid-19 a démontré quant à l’état de santé de l’économie marocaine et sa capacité d’adaptation?

Le Maroc est une économie basée essentiellement sur les services. Et ce sont les services qui ont été impactés au premier chef par la pandémie. Heureusement, depuis 15 ans, la base industrielle s’est beaucoup élargie et on s’est rendu compte que ce sont ces même secteurs, dont ont parlait dans le cadre des nouveaux métiers du Maroc, qui sont repartis le plus rapidement. Le Maroc a recommencé à exporter des véhicule dès le mois de juin 2020. Il a pu réorienter une partie de son tissu industriel pour fabriquer des masques et bien d’autres outils, au point qu’il a pu diriger une partie de sa production, dans un cadre solidaire, vers son continent africain. Le Maroc a également fait le choix d’une réponse monétaire massive pour relancer l’économie. Le résultat va dépendre de deux facteurs. Le premier concerne comment les recommandation de la Commission spéciale sur le nouveau modèle de développement vont se traduire, notamment sur les axes énergétiques et environnementaux, là où il y a le plus de croissance à espérer pour le Maroc. Arrimés à l’Europe, nous avons besoin de décarboner notre industrie afin de pouvoir exporter sans avoir des externalités négatives. Le second élément va être la composition de l’équipe. La question est: quel gouvernement portera cette ambition claire d’un royaume qui soit une «green, digital and commercial factory» pour l’Afrique et pour l’Europe?

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