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L’avis du psy: Abdelaziz Bouteflika et le Maroc

L’avis du psy: Abdelaziz Bouteflika et le Maroc

L’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika est décédé samedi dernier, à l’âge de 84 ans. Mais une chose que l’on retiendra de lui, c’est son hostilité farouche envers le Maroc, dont il était pourtant (un peu)… originaire.

Une page de l’histoire s’est tournée. L’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika est décédé samedi dernier, à l’âge de 84 ans. Au pouvoir depuis 1999, il a été poussé à la démission en avril 2019, sous la pression du vaste mouvement populaire de contestation «Hirak». Il voulait alors briguer un 5e mandat présidentiel. Mais ce que l’on retiendra également de Bouteflika, c’est son hostilité farouche envers le Maroc, dont il était pourtant… originaire.

En effet, l’ex-chef d’Etat est né le 2 mars 1937 à Oujda, où ses parents avaient émigré. C’est aussi là qu’il a démarré sa carrière politique, au sein du célèbre «clan d’Oujda». Une importante partie de sa vie est donc liée au royaume. Alors, sur un plan strictement psychologique, comment expliquer le rapport de Bouteflika au Maroc? Qu’est-ce qui a favorisé cette relation œdipienne avec le pays qui l’a «fait»?

«Dans le cas de Bouteflika, lorsqu’un être humain n’est pas reconnaissant et nie tout ce qui a fait de lui un être équilibré, il devient quelque part un narcissique pervers», nous explique le Dr Mohcine Benzakour, psychologue. En effet, c’est le cas d’un être humain en bons termes avec un proche, mais qui devient plus tard son pire ennemi. Et cela se passe même dans les familles, entre frères ou sœurs, au sein des couples, etc.

Mais comment devient-on un pervers narcissique? «Dans le cas de Bouteflika, c’était plutôt le pouvoir. Quand on dit pouvoir, il faut se rappeler que c’est lui qui a été derrière le retour à la paix en Algérie après la décennie noire», rappelle Benzakour. Mais Bouteflika n’y serait pas parvenu sans l’aide de l’armée. Dès lors, il était face à un dilemme: «Il doit évidemment ses premiers pas au Maroc, mais il savait pertinemment qu’il devait son pouvoir au système militaire algérien.»

Face à des choix, les humains ont tendance à se parler à eux-mêmes psychiquement. Et ce choix est basé soit sur des «idéaux» (reconnaissance), soit sur «l’égoïsme» et «le narcissisme», poursuit Benzakour. Ce dernier prend l’exemple d’un enfant, ou même un adulte, qui a «un passif pas si agréable» avec ses parents: «Quand il aura une autonomie, soit il aura de la reconnaissance en se rappelant des belles choses, soit il va se référer à son égoïsme, et ancrer davantage cette rage, cette distance, et il va leur en vouloir au point de peut-être, quand on est déséquilibré, leur faire du mal».

L’environnement aussi est là pour ancrer davantage ce narcissisme pervers, souligne Benzakour. En effet, on félicite le sujet, on renforce chez lui cet égoïsme, on flatte son égo pour lui faire croire qu’il est le meilleur, qu’il n’a pas besoin de l’autre (ses parents, par exemple), et qu’il peut réaliser ses objectifs tout en écrasant ceux à qui il doit de la reconnaissance. On le pousse dans le sens du narcissisme pervers. Mais, en réalité, il est utilisé, exploité; on a besoin de lui comme icône pour arriver à nos fins. Le sujet n’a donc jamais été important à leurs yeux; ce n’était pas du respect, ce n’était pas de l’amour. La preuve: «une fois que cet environnement n’a plu eu besoin de Bouteflika, il n’a pas hésité une seconde à l’écarter», note le psychologue.

Néanmoins, ceux que Bouteflika a reniés ont continué de le reconnaître. «Vous n’allez pas trouver un seul Marocain qui est en train de profiter de la situation pour dire des mauvaises choses du défunt. Ils l’ont toujours considéré en tant que Marocain», remarque Benzakour. Et d’ajouter que cela joue énormément dans l’équilibre psychologique: «Tout un chacun qui sait pertinemment qu’il est aimé, qu’il est valorisé et qu’il est respecté ne va pas développer un narcissisme pervers, il ne va pas développer une certaine vengeance, parce qu’il sait qu’il a quelqu’un sur qui s’appuyer.» Ainsi, résume notre expert, «on peut dire que le rejet du Maroc par Bouteflika était plutôt un aspect de souffrance, un aspect de déséquilibre, qui a été enrichi et enflé par l’environnement politique».

On peut, par ailleurs, se demander pourquoi Bouteflika n’a jamais changé de posture, en dépit des nombreuses tentatives du Maroc. «C’est ça le narcissisme. Il ne va jamais s’avouer vaincu, il ne va jamais avouer qu’il a tort», nous répond Benzakour, soulignant que l’ex-président algérien a fait pareil avec son peuple. «Il était presque immobile et savait pertinemment qu’il n’avait plus le pouvoir, ni la force physique ni la force morale ni la force psychique, mais il n’a pas hésité à se présenter pour un cinquième mandat», élabore-t-il, attribuant cette attitude à l’«égoïsme pur et simple», car «le sujet n’est plus attaché à la réalité, mais plutôt à ses fantasmes».

 

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