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Interview. Mohammed Boudad: «Voici les raisons de la chute de Barid Al Maghrib»

Interview. Mohammed Boudad: «Voici les raisons de la chute de Barid Al Maghrib»

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Fragilisé, voire mis à terre après des années de mauvaise gouvernance, Barid Al Maghrib traverse aujourd’hui une crise sans précédent. Où va cette institution historique?

Pour nous éclairer sur cette situation, Mohammed Boudad, secrétaire général du Syndicat national de la poste, qui dépend de la CDT (Confédération démocratique du travail) et représente de plus de la moitié des employés du secteur, se livre à Ni9ach21.

Ni9ach21: Object de nombre d’enquêtes et critiques, Barid Al-Maghrib est au bord de l’implosion. Quel état des lieux faites-vous de la situation actuelle?

Mohammed Boudad : Tout d’abord, Barid Al-Maghrib est composée de plusieurs filières: Barid Al Maghrib elle-même, Amana, la Société marocaine de distribution et transport de marchandises et de messageries (SDTM), Al Barid Bank et Barid eSign. Il s’agit ensuite d’une institution historique, qui jouit de la confiance des citoyens. A titre d’illustration, dans le domaine bancaire, le Marocain préfère Al Barid Bank à d’autres institutions. Le groupe est également très bien connecté, couvrant l’ensemble du territoire national, y compris les zones enclavées. Enfin, Barid Al Maghrib est une composante de l’identité nationale (timbres) et un symbole de la souveraineté nationale.

En ce qui concerne le nombre des postiers, l’on en compte environ 9.000 au Maroc. Un effectif jugé faible par rapport à la population nationale et à la masse salariale de la poste dans d’autres pays. A titre d’exemple, la poste emploie 30.000 salariés en Algérie voisine, et plus de 300.000 en France. Ce faible effectif est l’un des problèmes majeurs de l’institution. D’ailleurs, les facteurs et les guichetiers déplorent une très forte charge de travail. Cela s’explique par le fait que l’établissement ne recrute plus dans cette catégorie et ce, depuis plusieurs années.

Ensuite, il y a eu beaucoup de retraités ces dernières années, en plus d’un départ massif dans la catégorie des distributeurs à la suite du mouvement de départ volontaire. Et ceux-ci n’ont pas été remplacés. Toutefois, des recrutements contractuels avec des salaires astronomiques ont eu lieu, mais ils ne concernaient que les postes de responsabilité (cadres supérieurs, chefs de division, chefs services).

D’un autres côté, par rapport au nombre faible de distributeurs de courrier, qui ne dépasse pas 800, le nombre de responsables est très élevé (400 contractuels). Les médias, le ministère de l’Economie parlent d’une crise au sein de l’établissement, mais la question qui se pose est: pourquoi réduit-on le nombre des distributeurs et des guichetiers, alors que celui des responsables est en hausse? En somme, la pyramide des emplois au sein de Barid Al-Maghrib est renversée. De ce fait, nous demandons une liste de l’ensemble des employés, car le mode de recrutement est clientéliste et mandarinal, et nuit fortement à l’image de l’institution.

Où en est le dialogue social?

Pour le dialogue social, fin 2020, les postiers en colère ont mené une vague de grèves sur l’ensemble du territoire national allant jusqu’à 15 jours. Les négociations avec la direction de la Poste ont porté essentiellement sur l’augmentation des salaires de 500 dirhams comme pour les fonctionnaires, la politique de recrutement et l’intérêt de la sous-traitance, car des pertes de colis contenant des objets de valeur ont été enregistrées. Chose qui est normale en cas de sous-traitance de l’emploi, puisque les livreurs ne sont pas protégés juridiquement, ne touchent même pas le SMIG, et sont sans protection sociale. Pourtant, les heures de travail sont longues, allant jusqu’à 12 heures par jour.

A l’issue de ces négociations, un accord a été conclu, mettant fin aux grèves. Cependant, l’on assistera certainement à une collision violente au sein de Poste Maroc dans les prochains jours. Jusqu’au mois d’octobre, nous avons supporté les déductions sur salaire pour cause de grève, alors que l’accord conclu avec la direction n’a toujours pas été exécuté. De plus, selon des rumeurs, l’institution est en crise financière et serait incapable de payer les salaires et les primes des postiers.

Dans le Maroc du 21e siècle, une telle gestion est-elle acceptable pour une institution aussi stratégique?

En prenant en considération les défis régionaux et mondiaux, et en voyant comment sont gérées les postes dans d’autres pays, certes, la gestion de la Poste Maroc relève d’un autre âge, et elle est loin des objectifs de transparence, de crédibilité et de bonne gouvernance visés par le gouvernement.

Que pensez-vous de la solution gouvernementale de séparer l’activité d’Al Barid Bank de celle de Barid Al-Maghrib?

Le débat peut être mondial: est-ce qu’une banque postale a déjà été séparée de la poste? A mon avis, ce n’est pas une solution durable, car la Poste est une institution publique, dont le capital doit être 100% public. Certes, sa forme juridique peut faire l’objet de transformation pour se développer et pouvoir octroyer des crédits de consommation, de logement, etc., mais son capital doit rester public. Aujourd’hui, la complémentarité entre les services financiers et postaux permet d’être au plus proche des citoyens. Il y a des postiers dans les agences bancaires, comme il y a des agences communes, ce qui permet de couvrir tous les services.

Barid Al-Maghrib fournit des services à l’ensemble des citoyens marocains, qu’ils soient au Sahara, dans les montagnes, dans un petit village enclavé, ou dans les souks. L’institution collabore également avec le ministère de l’Intérieur dans le cadre du paiement des contraventions routières.

D’ailleurs, Barid Bank est déjà séparé de la Poste. Ce sont deux filiales distinctes au niveau du réseau et des ressources. Ce que l’Etat compte faire aura des répercussions négatives sur les deux sociétés. Il y aura un effondrement du service de distribution. En effet, dans les agences d’Al Barid Bank, les services postaux (courrier recommandé, courrier prioritaire, colis…) rapportent énormément. En cas de séparation, où vont s’effectuer ces activités? Quels seront les services de Barid Al-Maghrib? Les timbres, par exemple, seront-ils désormais vendus dans les bureaux de tabac?

Quelle est la solution, d’après vous?

La réussite de la réforme de Barid Al-Maghrib est tributaire de la restructuration interne de l’institution et non pas de la création de nouvelles filières avec de nouveaux postes d’emploi, encore moins de sa privatisation ou la séparation des services financiers des services postaux. On dit que la Poste est en crise, alors qu’on crée des sociétés parallèles dont on ignore la nature pour la concurrencer. On est donc en train de détruire l’établissement par nos propres mains. A titre d’exemple, la SDTM nouvellement créée est une chasse gardée qui représente un vrai problème. En crise actuellement, la société fournit une partie des services de la Poste pour paraître rentable.

Le grand problème de l’établissement, c’est sa gestion et son mode de gouvernance. D’ailleurs, en 2020, durant la crise sanitaire, toutes les sociétés opérant dans la distribution des colis ont dû s’arrêter, sauf Barid Al-Maghrib. Ce qui nous amène à dire que durant cette période, l’établissement a pu constituer un grand portefeuille clients, mais qu’il n’a pas su préserver. Les raisons: un dispositif juridique défaillant, des prix exorbitants, ainsi qu’un faible effectif des postiers et des guichetiers. De ce fait, pour résoudre cette situation, il faut commencer du haut, car tous les maux de Barid Al-Maghrib proviennent de là. Un escalier se balaie en commençant par le haut.

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