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Cigarettes au Maroc: taxer plus pour mieux protéger?

Cigarettes au Maroc: taxer plus pour mieux protéger?

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Depuis deux semaines, les nouveaux prix des cigarettes au Maroc sont en vigueur. Mais le chemin vers la baisse de la consommation du tabac dans le royaume reste long.

Le tabagisme est un mal mondial, qui tue chaque année près de 6 millions de personnes, y compris les décès prématurés en raison du tabagisme passif et qui sont évalués à 600.000 personnes, selon l’Organisation mondiale de la santé. Tous les pays sont confrontés à ce problème au sein de leurs populations. Jeunes comme vieux, le nombre de fumeurs ne fait qu’augmenter.

Et pourtant, les conséquences du tabagisme ne sont plus un secret pour personne. 90% des cancers du poumon sont dus au tabac, qui serait également responsable de 25% des insuffisances coronaires, dont l’infarctus. Outre les cancers, le tabagisme est l’origine de maladies comme les accidents vasculaires cérébraux (AVC), l’artérite des membres inférieurs, les anévrismes, ou encore l’hypertension artérielle. Par ailleurs, de nombreuses pathologies sont liées ou aggravées par le tabagisme: gastrites, ulcères gastro-duodénaux, diabète de type II, hypercholestérolémie, eczéma, psoriasis, infections ORL (nez – gorge – oreilles) et dentaires, cataracte, parodontite, etc. Il faut ajouter, pour résumer, qu’un fumeur régulier sur deux meurt des conséquences de son tabagisme. Et les spécialistes sont catégoriques: le seul moyen efficace pour réduire ce risque est l’arrêt du tabac.

Deux vitesses

Le Maroc n’échappe pas à cette réalité. En 2020, le nombre de cigarette vendues dans le royaume s’est élevé à 15,2 milliards, avec en tête les marques Marlboro, Marquise et Winston. Et on ne parle ici que des ventes légales, la contrebande ayant la vie dure, malgré la fermeture des frontières terrestres et maritimes. De plus, selon les estimations, le tabagisme touche 18% des Marocains âgés de 15 ans et plus, tandis que près de 41% de la population est exposée au tabagisme passif. Au ce sujet, 17% de la population est exposées au tabagisme dans l’entourage professionnel, contre 32% dans l’entourage familial et 60% dans les lieux publics.

«Mais que fait la loi?», pourrait-on se demander. Le Maroc dispose, évidemment, d’une loi anti-tabac. La loi n° 15-91 relative à l’interdiction de fumer et de faire de la publicité et de la propagande en faveur du tabac dans certains lieux a été promulguée en 1995. Mais depuis, aucun décret d’application. Qui va appliquer la loi? Qui va verbaliser? Qui va percevoir les amendes? Selon quelle procédure? Depuis lors, plusieurs gouvernements se sont succédés au Maroc, mais toujours pas de décret d’application de la loi n° 15-91. Néanmoins, certains organismes et établissements publics du royaume ont pris le taureau par les cornes en décrétant que leurs locaux sont des zones non-fumeur.

En l’«absence» de loi anti-tabac, d’autres alternatives existent, évidemment, pour lutter contre le tabagisme et ses innombrables dangers pour la société: sensibilisation, interdiction de la publicité, indication «Fumer tue» sur les paquets, groupes de soutien, livres pour arrêter de fumer… Mais celles-ci ont des taux de réussite relatifs, à l’exception de la taxation, qui a fait ses preuves.

«La solution la plus efficace»

«L’augmentation des taxes sur le tabac est la solution la plus efficace et la plus efficace pour réduire le tabagisme quel que soit le contexte», assure l’OMS dans un rapport de 2014. Les gens ont en effet tendance à acheter moins un produit lorsque son prix réel est augmenté. Selon les estimations, une augmentation des prix du tabac de 10% réduit le tabagisme de 4% dans les pays à revenu élevé, tandis qu’on frôle les 5% de réduction dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, fait ressortir le rapport.

De plus, la taxation du tabac a un double avantage. Elle permet, d’une part, de sauver des vies en décourageant la consommation du tabac et en améliorant la santé des communautés. Mais également, elle permet aux pouvoirs publics d’avoir des recettes supplémentaires. Prenons l’exemple égyptien: lorsque la taxe par paquet pour la marque de cigarette la plus vendue du pays a augmenté de 46% en 2010, les ventes ont diminué de 14% en deux ans, et les recettes ont progressé de 150% sur la même période, passant de 7 milliards de livres égyptiennes à 17,6 milliards de livres. Et ce n’est pas le seul exemple.

Les raisons de taxer du tabac ne manquent donc pas, et de nombreux pays l’ont compris. C’est le cas du Maroc, qui a enregistré, depuis le 1er janvier 2022, l’entrée en vigueur des nouvelles hausses des prix des cigarettes. Ces hausses ont concerné surtout les marques low cost comme Casa, Maghreb, Chesterfield, etc., tandis que les prix des marques les plus vendues comme Marlboro, Marquise, Winston ou Camel restent inchangés. Néanmoins, il est ainsi prévu que la taxe intérieure sur la consommation de tabac augmente progressivement sur une période de cinq ans. Ce qui conduira à une augmentation des parts de cette taxe de 100 dirhams pour 1.000 cigarettes en 2022 à 550 dirhams en 2026.

Inséparable du contexte pandémique

L’augmentation progressive des prix des cigarettes va-t-elle contribuer à en faire baisser la consommation au Maroc? «Ce n’est pas très sûr, mais si une partie des revenus issus de la taxation sert à conscientiser les populations, notamment les jeunes, sur les méfaits de la cigarette et, par exemple, à mener une campagne anti-tabac dans les collèges, lycées et universités, ce serait une bonne chose et une économie sur le futur», nuance Omar Kettani.

Pour l’économiste et professeur à l’Université Mohammed V-Agdal de Rabat, interrogé par Ni9ach21, avec la généralisation de la couverture sociale au Maroc, les gens qui tomberont malades à cause de la cigarette (cancer, problèmes respiratoires, etc.) vont coûter très cher à la sécurité sociale. «Comment allez-vous généraliser la couverture sociale tout en laissant ce type d’addiction rendre les gens malades à un âge avancé, et ceux-ci ne vont pas mourir tout de suite mais vont être soignés aux frais de la société pendant des années?», interroge-t-il.

Ainsi, il est nécessaire d’augmenter le prix des cigarettes, mais il faudrait aussi se concentrer sur la protection des jeunes, cible grandissante de ce marché. En ces temps de pandémie, Kettani propose une nouvelle approche de la sensibilisation, en rattachant l’addiction à la cigarette à l’immunité du corps. «Il faut changer le mot d’ordre publicitaire en disant, par exemple: « Arrêtez de fumer pour développer votre immunité. »», suggère l’économiste, insistant sur le développement d’une éducation de la santé dans nos sociétés.

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Pr Omar Kettani. Crédit: DR

Enfin, quant à la loi «hésitante» en matière de pénalisation du tabagisme, Kettani dénonce une sorte de «souplesse», de «complicité tacite». «Les recettes fiscales du tabac, mais aussi de l’alcool, sont très importantes pour l’Etat, qui ferme un peu les yeux. Par exemple, la loi interdit la consommation par et la vente d’alcool aux Marocains, mais il y a des bars, des épiciers, des supermarchés partout, qui le font», note-t-il. Il pointe ainsi du doigt la «moralité administrative»: «Est-ce que les personnes responsables pensent d’abord au bien-être de la société avant de penser budget ou recette fiscale?» La question est posée.

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