Ali Lotfi: «On retire les autotests de la vente car c’est du 100% produit au Maroc»

Ali Lotfi, président du Réseau marocain pour la défense du droit à la santé, nous éclaire sur la polémique des autotests. Un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre après l’interdiction de vente de ces produits par le ministère de tutelle.

Bien qu’ils ne soient pas aussi fiables que le PCR, les autotests de dépistage de la Covid-19 sont autorisés dans de nombreux pays. Ils sont plus rapides et plus accessibles. La décision du ministère de la Santé de les retirer des officines intervient dans un contexte où la situation épidémiologique au Maroc est alarmante.

De plus, ces tests antigéniques salivaires peuvent être effectués sans l’aide d’un professionnel. En sus de leur prix accessible. Il suffit d’acheter le produit aux alentours de 100 dirhams, d’ouvrir la boite et de déposer une quantité de salive dans le tube. Ensuite, le refermer, le secouer doucement, puis déposer trois gouttes dans la cassette de test et attendre 10 minutes pour obtenir le résultat comme pour un test de grossesse. Une barre: c’est négatif. Deux barres: c’est positif.

Dans une interview accordée à Ni9ach21, Ali Lotfi, président du Réseau marocain pour la défense du droit à la santé, nous éclaire sur le rôle que peuvent jouer les tests antigéniques salivaires face aux techniques de référence dans la réduction des chaînes de transmission virale de la Covid-19.

Ni9ach21: Quels sont les tests rapides de dépistage de la Covid-19?

Ali Lotfi: Actuellement, il existe trois types de tests: les tests virologiques, antigéniques et sérologiques salivaires. Ces tests sont réalisés au Maroc par des personnes qualifiées. Au laboratoire pour le PCR, chez le médecin pour le test antigénique et le pharmacien pour le test salivaire. Toutefois, ce dernier a été retiré une semaine après sa mise en vente par décision non motivée du ministère de la Santé, ni de sa Direction du médicament et de la Pharmacie. Cela, tout en sachant que des Marocains se procurent ces autotests via Internet.

Les tests rapides antigéniques salivaires sont-ils aussi fiables que les tests virologiques (PCR)?

En fait, les tests PCR sont les tests de référence pour la détection du génome viral dans les prélèvements nasopharyngés. Par contre, les autotests sont réalisés sur un auto-prélèvement, soit salivaire pour la détection du virus, soit sanguin, par piqûre au bout du doigt, pour la recherche d’anticorps. Leurs performances sont inégales.

Les tests sérologiques permettent, par le biais d’un prélèvement sanguin, de détecter la présence d’anticorps spécifiques au SARS-CoV-2. Ce qui permet de savoir si la personne a déjà été infectée par le virus par le passé. Contrairement aux tests virologiques, les tests sérologiques ne permettent pas d’établir un diagnostic précis.

Certes, dans le domaine médical, on procède par étape et par élimination et à moindre coût pour les patients. Les niveaux et degrés de fiabilité dans les actes diagnostiques diffèrent, comme entre un TDM et un IRM. Sauf pour les cas urgents où l’on passe directement au plus fiable pour un diagnostic de certitude. Sans omettre que

«même dans le test PCR, on peut avoir des faux positifs et faux négatifs».

Les tests antigéniques et salivaires sont moins fiables et de certitude moindre par rapport au PCR. Mais ce sont des tests validés par les autorités sanitaires de plusieurs pays dans le monde. On les pratique pour éventuellement effectuer un diagnostic préliminaire pour des personnes asymptomatiques. Et si le résultat d’un test antigénique ou salivaire est positif, on oriente le patient vers un médecin pour approfondir le diagnostic par un PCR ou par un scanner.

Il est recommandé de ne pas utiliser les tests sérologiques en première intention, si vous présentez des symptômes, étant donné le risque important de faux négatif au début de la maladie, puisque les anticorps ne se forment pas immédiatement. Par contre, l’autotest trouve sa place dans l’autosurveillance. En pratiquant des tests répétés, par exemple deux fois par semaine, pour suivre et contrôler l’épidémie, cela facilite la détection de cas asymptomatiques positifs. Cela permet de rompre le plus rapidement possible les chaînes de contamination. Ils peuvent aussi servir pour des dépistages en masse, pour cibler les cas contaminés dans une communauté donnée, des écoles, des prisons, des internats… Au vu de leur facilité d’usage et de leur rapidité, les autotests représentent une très grande opportunité pour tester les publics qui le sont très peu aujourd’hui, faute de moyens financiers.

Les tests antigéniques permettent la détection du virus dans les prélèvements nasaux et sont réalisables dans de nombreuses pharmacies. Ce sont des tests rapides à visée diagnostic. Ils sont moins sensibles que les tests PCR, mais ayant l’avantage de fournir un résultat en moins d’une demi-heure. Ce qui facilite leur utilisation dans les actions de dépistage.

Concernant le test salivaire de la Covid-19, il a été prévu de le rendre disponible à la vente en pharmacie au Maroc et à la portée de toutes les classes sociales, sachant que le taux de pauvreté est très élevé.

«Même la classe moyenne aura des difficultés à se payer des tests PCR pour toute la famille.»

La décision du ministère de la Santé de retirer les autotests des pharmacies après une intervention forte du lobby de certains laboratoires est incompréhensible. Le ministère ne justifie pas sa décision, surtout qu’en France, voire en Europe, ces autotests, qui ne nécessitent pas de présence de professionnels de santé et dont le mode de prélèvement est «moins invasif» que les dispositifs PCR, permettront la réalisation de tests plus fréquents, selon l’arrêté publié dans le Journal officiel français. Leur prix n’excède pas 5 euros, voire ils sont délivrés gratuitement, sur justificatif, aux salariés à domicile intervenant auprès de personnes âgées ou en situation de handicap.

Le retrait des tests salivaires vise-t-ile toutes les marques ou seulement la marque Gigalab?

D’abord, il n’y a qu’une seule et unique marque qui existe au Maroc. C’est un produit purement marocain fabriqué par un laboratoire marocain et validé par des laboratoires agréés. Il a été soumis à la Commission nationale scientifique et technique, dont on ne connaît pas encore vraiment la constitution.

Pourquoi les biologistes soutiennent-ils que la commercialisation de Gigalab par les pharmacies est contradictoire à la législation en vigueur?

Nous sommes face à une pandémie internationale. Et tout le monde apprend à vivre avec, tout en cherchant des moyens de diagnostic et de prévention. Ainsi, personne ne doit faire obstacle pour monopoliser des actions de prévention et de traitement ou de diagnostic. Tout en respectant les critères et normes de recherche scientifique nationaux et internationaux et les recommandations de l’OMS. Et il y a une question à se poser. Comment la Haute autorité de santé française (HAS) a donné son feu vert au déploiement de ces autotests. Ils l’interdisent chez nous, alors que le produit PCR s’importe de ces pays.

«On le retire et on l’interdit à la vente car c’est un produit purement marocain. Pourtant, sa fiabilité est égale aux autres autotests européens, voire meilleure. A présent, on ignore les raisons des laboratoires, qui ont d’ailleurs le monopole du PCR à 700 dirhams».

A quand la gratuité des tests?

C’est la question légitime et la vraie réponse à cette situation désastreuse que nous vivons aujourd’hui. Le taux de létalité est élevé, et la maladie fait des ravages. Face à cela, on constate une incapacité totale de notre système de santé à arrêter l’hémorragie. Une politique de santé et de gestion stratégique de la Covid-19 faible, de raccommodage, empreinte de rente et de monopole. Une pénurie de plus en plus grande de moyens logistiques biomédicaux et de professionnels de santé, ainsi que l’incapacité de nos  hôpitaux, y compris les CHU, à prendre en charge les patients atteints de Covid-19 et dans des états graves nécessitant un lit de réanimation. Le manque de lits de réanimation entraîne davantage de décès.

A notre avis, la gratuité totale pourra réduire la propagation de la Covid-19 et la contamination par ses variantes. Et sauver des vies humaines! Les tests antigéniques et PCR sont réalisés gratuitement dans plusieurs pays. Le pire, c’est qu’ils sont très chers au Maroc. Et dans certains laboratoires privés choisis par le ministre de la Santé, le prix du PCR est arrêté publiquement à 500 dirhams! Pire encore, les tests de dépistage PCR et antigéniques ne sont pas remboursables par les caisses de l’assurance maladie. Ils ne prennent pas en considération le pouvoir d’achat limité des Marocains. On parle là de dépenses familiales, soit 700 dirhams X 2 ou X 4.

Contrairement aux allégations de certains lobbies, les tests antigéniques sont une bonne solution pour une détection rapide. Cela aidera aussi à contourner la propagation du virus. Le ministère doit les autoriser pour aider au dépistage de masse et pour enrayer la propagation de Sars-Cov 2 et ses variantes, dont Delta qui se propage rapidement. Selon certains experts, c’est un virus résistant aux antibiotiques du protocole thérapeutique utilisé.

La gratuité totale, que ce soit pour le dépistage, le diagnostic ou le traitement, ainsi que la prévention par la généralisation de la vaccination et le respect total des mesures barrières sont les seules mesures importantes et indispensables pour mettre fin à cette pandémie mortelle au Maroc.